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ce lot de chair humaine, — reprit impatiemment Berthoald. — La vue seule de ces pauvres créatures me serait pénible. Vous n’avez pas voulu leur rendre la liberté… ne me parlez plus d’elles…

— Leur rendre la liberté ! tandis qu’après nous en être amusé durant la route, nous pouvons les vendre au moins quinze à vingt sous d’or chacune ; car durant notre halte aux environs du monastère de Saint-Saturnin, un juif, qui était venu les visiter et les estimer, nous a dit que…

— C’est assez… c’est trop parler du juif et des esclaves ! — s’écria Berthoald en interrompant Richulf ; et voulant mettre terme à un entretien qui lui semblait pénible, il approcha ses éperons des flancs de son cheval afin de rejoindre les autres guerriers franks, et leur cria de loin en tâchant de sourire : — Compagnons, bonne nouvelle ! notre abbaye est riche, fertile, et nous venons succéder à une abbesse, est-elle jeune ou vieille, laide ou jolie, je ne sais… Avant une heure nous la verrons.

— Vive Karl-Marteau ! — dit un des guerriers, — il n’y a pas d’abbesse sans nonnes… nous rirons avec les nonnains.

— Moi, j’aurais préféré quelque abbé batailleur à déposséder ; mais je me console en pensant que nous allons être maîtres de nombreux troupeaux de porcs.

— Toi, Richulf, tu ne penses qu’aux horions et aux jambons !

En causant ainsi gaiement, les guerriers prennent et suivent l’avenue bordée de peupliers. Enfin on aperçoit au loin l’abbaye, bâtie au milieu d’une sorte de presqu’île, où l’on arrivait de ce côté par une étroite chaussée pratiquée entre deux étangs.

— Beau bâtiment ! vois donc, Berthoald.

— Vastes dépendances ! Et ces grands bois à l’horizon, sans doute ils dépendent de notre abbaye…

— Ils doivent être giboyeux. Nous chasserons le cerf, le daim, le sanglier… Vive Karl-Marteau !

— Et les étangs, qui là-bas s’étendent de chaque côté de la route,