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chair, seul bien qu’elle nous laisse, elle le peut, puisque je ne saurais m’échapper ; mais aussi vrai que je m’appelle Broute-Saule, tôt ou tard je me vengerai !

— Tu es un insolent scélérat ! — s’écria l’intendant furieux. — Il me plaît à moi de t’appliquer la loi de l’épervier !

— Et si j’en réchappe, il me plaira de te répondre par la loi du couteau, qui est la loi de tous pays, pourvu que pour l’appliquer l’on ait le cœur ferme, la main sûre…

— Qu’on le saisisse ! — s’écria Ricarik, — qu’on l’attache sur un des bancs qui sont au dehors du hangar, afin que son châtiment soit public… Que la chair de sa poitrine soit donnée en pâture à l’oiseau ; il becquettera dans le vif jusqu’à ce que je dise : assez !

— Oh ! bourreau ! — s’écria Broute-Saule que l’on entraînait, — si je peux quelque jour, un couteau à la main, te joindre en un lieu écarté, toi ou ton abbesse du diable, vous aurez beau dire assez, moi, vous frappant, je dirai : Non, ce n’est pas assez !

— Misérable sacrilége ! tu oses dire que tu lèverais le poignard sur notre vénérable abbesse, notre sainte mère en Christ !

La foule des esclaves assistant à cette scène éclata en violents murmures d’indignation contre Broute-Saule, assez impie pour parler ainsi de l’abbesse Méroflède ; et ces malheureux, dans leur hébétement farouche, se pressèrent, curieux d’assister à son supplice… Le jeune Gaulois, nu jusqu’à la ceinture, fut garrotté sur un banc au dehors du hangar ; Ricarik, afin d’appâter l’oiseau carnivore, tira son couteau et fit une légère blessure au sein droit du patient : l’épervier, à la vue du sang, enfonça ses serres aiguës dans la blanche et large poitrine de Broute-Saule, dont il commença de becqueter la chair vive. L’esclave, impassible malgré la douleur, tâchait de redresser la tête afin de voir l’oiseau, et disait : — Mange, mange, épervier de la sainte abbesse Méroflède… mange, c’est de la chair gauloise !

Soudain on entendit le pas de plusieurs chevaux. Bientôt les es-