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l’abondance et l’oisiveté régnaient ainsi dans ce saint lieu comme dans tant d’autres monastères, tandis que les populations asservies qui, par leur écrasant labeur, produisaient seules cette abondance, à peine abritées sous des masures de boue et de roseaux, vivaient au milieu d’une misère atroce, accablées de charges de toutes sortes. Le vieil orfévre et l’intendant de l’abbaye de Meriadek se rendirent donc dans l’immense hangar où étaient réunies toutes les richesses variées d’une terre féconde, richesses qui auraient pu assurer le bien-être de ceux qui les avaient créées à force de sueurs et de privations ; pourtant ceux-là venaient religieusement, dans leur soumission catholique, augmenter le superflu de la fainéantise abbatiale en se privant du nécessaire. Rien n’était à la fois plus triste et plus animé que ce tableau d’un jour de redevance : ces hommes des champs, à peine vêtus, esclaves ou colons, dont la maigreur trahissait l’infortune, arrivaient, portant sur leurs épaules ou charroyant les produits les plus nombreux et les plus variés. Au bruit tumultueux de la foule, se joignaient les bêlements des moutons et des veaux, le grognement des porcs, les beuglements des bœufs, le gloussement des volailles, animaux que les redevanciers apportaient ou amenaient vivants ; d’autres ployaient sous le poids de grands paniers remplis d’œufs, de fromage, de beurre ou de gâteaux de miel ; d’autres roulaient des tonneaux de vin, conduits jusqu’à l’abbaye sur des espèces de traîneaux ; ailleurs on déchargeait des chariots de leurs pesants sacs de froment, de seigle, d’épeautre, d’avoine ou de graine de moutarde. Là s’amoncelaient le foin et la paille, plus loin s’empilait le bois de chauffage ou de charpente, tel que poutres, voliges, bardeaux (petites planchettes de chêne pour couvrir les toits), échalas pour les vignes, pieux pour les clôtures ; les esclaves forestiers apportaient des daims et des sangliers, venaison destinée à être fumée ; des colons amenaient en laisse des chiens courants pour la vénerie qu’ils devaient élever, ou tenaient en cage des faucons et des éperviers qu’ils devaient dénicher pour la fauconnerie ;