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taire II, son père, garda Éloi pour orfèvre ; mais le bon Éloi, se souvenant de sa dure condition d’artisan, et du sort cruel des esclaves qui avaient souvent été ses compagnons de travail, dépensait, lorsqu’il fut riche, tout son gain au rachat des esclaves ; il en délivrait quelquefois vingt, trente, cinquante en un jour ; souvent même il allait à Rouen acheter des cargaisons entières de captifs des deux sexes, qu’on amenait de tous pays en cette cité fameuse par son marché de chair humaine. On voyait parmi ces malheureux des Romains, des Gaulois, des Anglais, même des Maures ; mais surtout des Saxons. S’il arrivait que le bon Éloi n’eût pas assez d’agent pour acheter les esclaves, il leur donnait, pour soulager leur misère, tout ce qu’il possédait. « — Que de fois, sa bourse épuisée, — me disait Thil, son apprenti favori, — j’ai vu mon maître vendre son manteau, sa ceinture, et jusqu’à sa chaussure. » — Mais il faut vous dire, mes enfants, que ce manteau, cette ceinture, cette chaussure, étaient brodés d’or, souvent enrichis de perles ; car le bon Éloi, qui ornait les vêtements des autres, se plaisait aussi à orner ses habits, et, dans sa jeunesse, il allait toujours magnifiquement vêtu.

— C’était bien le moins qu’il se parât, lui qui parait autrui. Ce n’est pas comme nous, qui travaillons l’or et l’argent et ne quittons jamais nos haillons.

— Mes pauvres enfants, nous sommes esclaves, tandis qu’Éloi avait le bonheur d’être libre ; mais de cette liberté il usait pour le bonheur de son prochain. Il avait autour de lui plusieurs serviteurs qui l’adoraient ; j’en ai connu quelques-uns qui se nommaient Bauderic, Tituen, Buchin, André, Martin et Jean. Vous voyez que le vieux Bonaïk ne manque pas de mémoire ; mais comment ne pas se rappeler tout ce qui touche le bon Éloi ?

— Savez-vous, maître, que c’est un honneur pour nous, pauvres esclaves-orfévres, d’avoir eu un tel homme dans notre état ?

— Si c’est un honneur, mes enfants ! certes, il faut nous en enorgueillir. Imaginez-vous donc que la réputation de charité du bon