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cette époque, dirigeait aussi pour le fisc l’atelier des monnaies dans la ville de Limoges. Après s’être tellement perfectionné dans son art, qu’il dépassa son maître en quelques années, Éloi quitta son pays et sa famille, laissant après lui de grands regrets, car tout le monde l’aimait pour sa gaieté, sa douceur, et son excellent cœur, il alla chercher fortune à Paris, l’un des séjours des rois franks. Éloi était recommandé par son ancien maître à un certain Bobbon, orfévre et trésorier de Clotaire II. Ce Bobbon ayant pris notre Éloi comme ouvrier, remarqua bientôt son talent. Un jour, le roi Clotaire II voulut avoir un siége d’or massif, travaillé avec art, et enrichi de pierres précieuses.

— Un siége d’or massif, père Bonaïk ! quelle magnificence !

— Hélas ! mes enfants, l’or ne coûtait aux rois franks que la peine de le prendre en Gaule, et ils ne s’en faisaient point faute. Clotaire II eut donc la fantaisie de posséder un siége d’or ; mais personne, dans les ateliers du palais, n’était capable d’accomplir une pareille œuvre. Le trésorier Bobbon, connaissant l’habileté d’Éloi, lui proposa de se charger de ce travail. Éloi accepta, se mit à la forge, au creuset, et avec la grande quantité d’or qu’on lui avait donnée pour orner un seul siége, il en fit deux. Portant alors au palais le siége qu’il a achevé, il cache l’autre…

— Ah ! ah ! — dit en riant l’un des jeunes esclaves, — le bon Éloi faisait comme les meuniers, il tirait de son sac deux moutures…

— Attendez, mes enfants, attendez, avant de porter votre jugement. Clotaire II, émerveillé de l’élégance et de la délicatesse du travail de l’artisan, ordonne aussitôt de le récompenser largement… Alors Éloi montre à Bobbon le second siége qu’il avait ouvragé, en disant : « Voici à quoi, afin de ne rien perdre, j’ai employé le restant de ton or. »

— Vous aviez raison, père Bonaïk, nous nous étions trop hâtés de juger le bon Éloi.