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ce que je vois ? ou plutôt qu’est-ce que je crois voir ! car il y a de ces ressemblances si frappantes…

— Eh bien ! — dirent les jeunes gens, — qu’as-tu vu dans ce jardin ?

— J’ai vu l’abbesse, reconnaissable à sa taille élevée, marchant entre deux nonnes, l’un de ses bras appuyé sur l’épaule de chacune d’elles.

— Ne dirait-on pas qu’elle a près de cent ans, comme le père Bonaïk, notre abbesse ? elle qui monte à cheval comme un guerrier ! elle qui chasse au faucon, elle dont la lèvre est ombragée d’une petite moustache rousse, ni plus ni moins que celle d’un jouvenceau de dix-huit ans.

— Ce n’était point par faiblesse, mais sans doute par tendresse que l’abbesse s’appuyait ainsi sur ses deux nonnes : l’une d’elles ayant marché sur sa robe, au moment où je traversais la cour, fait un faux pas, trébuche, se retourne, et je reconnais, ou je crois reconnaître, devinez qui… Eleuthère…

— Habillé en nonne ?

— Habillé en nonne…

— Allons donc… tu rêvais.

— Pourtant, — reprit un autre esclave moins incrédule, — il faut dire que notre camarade n’a pas encore dix-huit-ans, et que son menton est aussi imberbe que celui d’une jeune fille.

— Et je soutiens, moi, que si cette nonne n’est pas Eleuthère, c’est sa sœur… s’il a une sœur.

— Et je vous dis, moi, — ajouta le vieil orfèvre avec une impatiente anxiété, — je vous dis, moi, que vous êtes des oisons, et que si vous voulez aller au chevalet faire de nouveau connaissance avec les lanières du fouet, vous n’avez qu’à tenir des propos pareils.

— Mais, père Bonaïk…

— Je comprends qu’en travaillant l’on jase ; mais quand les paroles se peuvent traduire en coups de fouet sur l’échine, l’entretien me