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L’abbaye de Meriadek avait, ainsi que les riches couvents de la Gaule, son petit atelier d’orfévrerie ; un vieillard de quatre-vingts ans et plus surveillait les travaux de quatre jeunes apprentis, esclaves comme lui, et réunis dans une salle basse voûtée, éclairée par une fenêtre cintrée, garnie de barreaux de fer, qui s’ouvrait sur un fossé rempli d’eau, le couvent ayant été bâti au milieu d’une espèce de presqu’île, entourée d’étangs immenses. La forge s’adossait à l’un des murs dans l’épaisseur duquel était creusé une sorte de petit caveau ; l’on y descendait par plusieurs marches, il contenait la provision de charbon nécessaire aux travaux. Le vieil orfévre, à la figure et aux mains noircies par la fumée de la forge, portait une souquenille à demi cachée par un large tablier de cuir, et ciselait avec amour une crosse abbatiale en argent :

— Père Bonaïk, — dit un des jeunes esclaves au vieillard, — voici le huitième jour que notre camarade Éleuthère ne vient pas à l’atelier… où peut-il être ?

— Dieu le sait, mes enfants… mais, croyez-moi, parlons d’autre chose.

— Je suis à moitié de votre avis, vieux père, car, à propos d’Éleuthère, j’ai autant envie de parler que de me taire. Je sais un secret ; il me brûle la langue, et je crains qu’on me la coupe, si je bavarde.

— Alors, mon garçon, — reprit le vieillard en ciselant toujours son orfévrerie, — garde ton secret, c’est prudent.

Mais les jeunes gens, plus curieux que le vieillard, firent tant d’instances auprès de leur compagnon que, vaincu par leurs prières, il leur dit : — Avant-hier… c’était le septième jour de la disparition d’Éleuthère, j’étais allé reporter, par ordre du père Bonaïk, un bassin d’argent dans l’intérieur de l’abbaye. La tourière me dit d’attendre pendant qu’elle va s’enquérir s’il n’y a pas de pièces d’argent à nettoyer. Resté seul, pendant l’absence de la tourière, j’ai la curiosité de monter sur un escabeau afin de regarder par une petite fenêtre très-élevée donnant sur le jardin du monastère. Là, qu’est--