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lui offrait et qui roulèrent sur le plancher, elle baisa la main du jeune homme avec une reconnaissance si passionnée, qu’il sentit ses yeux, malgré lui, mouillés de larmes. Karl s’en aperçut, et cria en riant de son gros rire germanique : — Foi de Marteau ! je crois qu’il pleure !… quelle femmelette !

Berthoald profita de ces paroles de Karl pour rabaisser davantage encore le capuchon de son manteau, et cacher ainsi presque entièrement ses traits. Aussi Karl lui dit : — Tu as raison de rabattre ton capuchon sur ton nez : c’est sans doute pour cacher tes larmes ?

— Je ne te donnerai pas longtemps le spectacle de ma faiblesse, Karl… Tu m’as dit tout à l’heure : à cheval ! Permets-moi de me mettre en route à l’instant avec mes hommes pour l’abbaye de Meriadek.

— Va… mon bon compagnon de guerre, j’excuse ton impatience. Sois vigilant ! exerce journellement tes hommes ; qu’ils soient prêts, ainsi que toi, à se rendre à mon premier appel, ou peut-être à aller, sous tes ordres, attaquer et dompter enfin ces damnés Bretons, qui, depuis Clovis, résistent à nos armes… Te voilà comte au pays de Nantes, près des frontières de cette Armorique endiablée. Là, ta loyale et brave épée pourra me rendre de tels services, que ce soit moi, Karl, qui devienne ton obligé… Au revoir ! Heureux voyage et grasse abbaye je te souhaite, mon vaillant !

Berthoald, grâce au capuchon qui voilait presque entièrement ses traits, put cacher sa cruelle angoisse lorsqu’il entendit Karl lui dire qu’un jour peut-être il lui donnerait l’ordre d’aller combattre les Bretons, toujours indomptés ; il fléchit le genou devant le chef des Franks, et sortit en proie à une telle anxiété, qu’il n’eut pas un dernier regard pour Septimine la Coliberte, qui, toujours agenouillée au milieu des pièces d’or sarrasines éparses autour d’elle, ne quittait pas des yeux son libérateur, qui sortit précipitamment.

Le jeune chef traversait la cour de l’abbaye pour aller reprendre son cheval, lorsqu’à l’angle d’un mur il se trouva face à face