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vaillamment servi durant tant de guerres, pendant que vous disiez ici vos patenôtres ? Dis, qui les nourrira mes hommes ? qui les logera ? qui les vêtira ? qui les servira ? Ne veux-tu pas, moine, qu’ils aillent, ces vaillants, voler ou mendier sur les routes ?

— Seigneur… il y aurait moyen de satisfaire vos compagnons d’armes et nous-mêmes.

— Comment cela ?

— Vous voulez changer cette abbaye en un poste militaire ; je l’avoue, vos hommes de guerre seront meilleurs gardiens du jeune prince que nous autres, pauvres moines. Mais puisque vous disposez de cette abbaye, daignez, illustre seigneur, vous qui pouvez tout, nous en donner une autre.

— Laquelle ?

— Il existe près de Nantes l’abbaye de Meriadek ; un de nos frères, mort depuis peu, y était resté plusieurs années comme intendant ; il nous a même laissé ici un Polyptique renfermant la désignation exacte des biens et des personnes de l’abbaye. Elle était alors sous la règle de saint Benoît. L’on nous a dit que plus tard elle avait été changée en une communauté de femmes ; mais nous n’avons, à ce sujet, aucune certitude…

— Et cette abbaye, — reprit Karl en se frottant la barbe d’un air sournois et narquois, — tu me la demandes charitablement pour toi et pour tes moines ?

— Oui, seigneur, puisque vous nous dépossédez de celle-ci.

— Et les possesseurs actuels de l’abbaye que tu sollicites… que deviendront-ils ?

— Hélas ! ce que nous serions devenus nous mêmes. La volonté de Dieu soit faite en toute chose !

— Oui, pourvu que cette volonté soit faite en ta faveur. Et cette abbaye est-elle riche ?

— Seigneur, avec l’aide de Dieu, nous y pourrons vivre humblement dans la retraite et la prière.