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dernier descendant de ce conquérant des Gaules, si abhorré par mes pères !… Oh ! les dieux sont justes !…

— Berthoald, encore une fois es-tu fou ? Qu’il y a-t-il de si étonnant à ce que tu sois gardien de cet enfant ?

— Excuse-moi, Karl, — reprit Berthoald en revenant à lui, craignant de s’être trahi. — J’étais profondément frappé de cette pensée : moi, obscur soldat, avoir pour prisonnier le dernier rejeton de tant de rois !…

— Oui, elle finit misérablement cette race de Clovis, si vaillante autrefois, si abâtardie depuis… Que veux-tu ? ces roitelets, pères avant quinze ans, caduques à trente, hébétés par le vin, abrutis par l’oisiveté, énervés par une débauche précoce, étiolés, rabougris, stupides, devaient finir comme tu vois… Tandis que nous autres, maires du palais, rudes hommes, toujours allant, venant, du nord au midi, de l’est à l’ouest, toujours chevauchant, toujours bataillant, gouvernant, nous aboutissons au bonhomme Karl, et il n’est point frêle ou rabougri, celui-là ! sa barbe n’est point postiche, et, quelque beau jour, il pourra faire à son tour souche de vrais rois… car, foi de Marteau, ces rois-là ne se laisseront pas mettre sous le hangar ni avant ni après les assemblées du mois de mai… vu qu’ils auront de vrai poil au menton…

— Qui sait, Karl ? peut-être si tu fais souche de rois, leur race s’abâtardira-t-elle comme cette race de Clovis, dont tu veux confier à ma garde le dernier rejeton…

— Par le diable ! est-ce que nous nous sommes abâtardis, nous autres fils de Pepin l’Ancien, maires du palais, héréditaires dès avant le règne de Brunehaut !

— Vous n’étiez pas rois, Karl, et la royauté porte en soi un poison qui à la longue énerve et tue les races les plus viriles…

Berthoald achevait à peine ces paroles, dont le chef des Franks parut fort surpris, lorsque le père Clément, abbé du monastère, entra précipitamment dans la salle, et s’adressant à Karl : — Seigneur,