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et se retournant une dernière fois pour saluer le père, elle rencontra l’œil scrutateur du moine toujours fixé sur elle.

— Que Dieu nous sauve, — dit la jeune fille saisie d’une angoisse mortelle, en sortant de la chambre. — À la vue du moine, le malheureux enfant est devenu pourpre, et il ne quitte pas des yeux son lit, où est caché la corde. Ah ! je tremble pour le petit prince et pour nous.




Karl-Marteau (ou Martel) venait d’arriver au couvent de Saint-Saturnin, escorté seulement d’une centaine de guerriers ; il devait bientôt rejoindre un détachement de son armée, qui faisait halte à quelque distance du monastère. Le maire du palais et l’un des chefs de bande qui l’accompagnait venaient d’être introduits dans l’appartement du père Clément, pendant que celui-ci se rendait auprès du jeune prince. Karl-Marteau, alors dans toute la vigueur de l’âge, exagérait encore, dans son langage et dans son costume, la rudesse de la race germanique ; sa barbe et sa chevelure d’un blond vif, incultes, hérissées, encadraient ses traits fortement colorés, où se peignait une rare énergie jointe à une sorte de bonhomie parfois joviale et narquoise ; son regard audacieux révélait une intelligence supérieure ; il portait, comme le dernier de ses soldats, une casaque de peau de chèvre par-dessus son armure ternie ; ses bottines de gros cuir étaient armées d’éperons de fer rouillé ; à son baudrier de buffle pendait une longue et large épée de Bordeaux, ville alors renommée pour la fabrication de ses armes.

Le guerrier qui accompagnait Karl-Marteau paraissait âgé d’environ vingt-cinq ans ; grand, svelte, robuste, il portait avec une aisance militaire sa brillante armure d’acier, à demi cachée par un long manteau blanc à houppes noires à la mode arabe ; son magnifique cimeterre à fourreau et à poignée d’or massif, orné d’a-