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s’assit près de lui sur un escabeau, prit sa quenouille et commençant à filer lui dit à demi-voix d’un air grave et mystérieux : — Me promettez-vous d’être discret ?

— À qui veux-tu que je parle ? j’ai en aversion tous ceux qui sont ici.

— Excepté moi… n’est-ce pas ?

— Oui, excepté toi, Septimine… tu es la seule qui m’inspires un peu de confiance.

— Quelle défiance pourrait vous inspirer une pauvre Coliberte, comme on dit en Septimanie, où je suis née ? ne suis-je pas esclave, ainsi que ma mère, femme du portier extérieur de ce couvent ? Lorsqu’il y a dix-huit mois, vous avez été conduit ici, je n’avais pas quinze ans, j’étais enfant comme vous ; on m’a mis auprès de votre personne pour tâcher de vous distraire, en partageant vos jeux ; depuis ce temps-là nous avons grandi ensemble ; vous vous êtes habitué à moi… n’est-il pas naturel que vous me témoigniez quelque confiance ?

— Tout à l’heure tu me disais que peut-être tu me ferais espérer… quelle espérance peux-tu me donner ?

— D’abord me promettez-vous d’être discret ? très-discret ?

— Je te le promets.

— Promettez-moi aussi de ne pas recommencer à pleurer… car il faut que je vous parle du roi, votre père…

— Je ne pleurerai plus, Septimine.

— Il y a dix-huit mois de cela, le roi Thierry, votre père, est mort dans son domaine de Compiègne, et le maire du palais, ce méchant Karl-Marteau, vous a fait conduire et emprisonner ici…

— Pourtant mon père m’avait toujours dit : « Mon petit Chilpérik, tu seras roi ! comme moi, tu auras des chiens et des faucons pour chasser, de beaux chevaux, des chars pour te promener, des esclaves pour te servir… » Et ici je n’ai rien de tout cela, moi ! Mon Dieu ! mon Dieu !… que je suis malheureux !