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dit le prophète, — reprit l’adolescent d’une voix grave et douce. — Nous allons guerroyer contre ces Franks, maudits infidèles ! Je combattrai vaillamment sous les yeux de mon père… Dieu a marqué le terme de notre vie !

Et le jeune Arabe, après avoir de nouveau respectueusement baisé la main de Rosen-Aër, l’aida à monter sur une mule amenée par un esclave noir qui la tenait par la bride. Alors on entendit au loin le bruit guerrier des clairons. Abd-el-Kader fit de la main et du regard un dernier adieu à Rosen-Aër ; puis l’Arabe, dont l’âge n’avait pas affaibli la vigueur, s’élança sur son cheval, et partit bientôt au galop suivi de ses cinq fils. Pendant un moment encore, la Gauloise suivit des yeux les longs manteaux blancs que soulevait la course rapide de l’Arabe et de ses fils ; puis, lorsqu’ils eurent disparu à ses yeux, dans un nuage de poussière, Rosen-Aër dit à l’esclave noir de diriger la mule vers la porte de Narbonne, afin de gagner la campagne et la demeure du colon.




Environ un mois s’était passé depuis le départ d’Abd-el-Kader et de ses cinq fils, allant à la tête de l’armée arabe combattre les Franks de Karl-Martel.

Un enfant de onze à douze ans, renfermé dans le couvent de Saint-Saturnin, en Anjou, s’accoudait à l’appui d’une étroite fenêtre, située au premier étage de l’un des bâtiments de l’Abbaye, ayant vue sur la campagne ; la chambre voûtée où se tenait cet enfant était froide, vaste, nue et dallée de pierres ; dans un coin l’on voyait un petit lit, et sur une table quelques jouets grossièrement taillés dans du bois brut ; des escabeaux et un coffre meublaient seuls cette grande salle. L’enfant, vêtu d’une robe de serge noire, tout usée, çà et là rapiécée, était d’un aspect malingre, ses traits, d’une pâleur bilieuse, avaient une expression de tristesse profonde ; il regardait au loin les champs, et des larmes coulaient lentement sur ses joues creuses.