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disaient les Arabes ou Gaulois musulmans. — Maudits païens ! damnés renégats ! — répondaient les catholiques ; et chacun s’en allait, paisiblement d’ailleurs, exercer son culte. Mahomet, beaucoup plus tolérant que ces évêques de Rome qui faisaient massacrer, au nom du Seigneur, les Gaulois ariens par les Franks de Clovis, Mahomet ayant dit dans le Koran : — Ne faites aucune violence aux hommes à cause de leur foi.

Ab-el-Kader, l’un des plus vaillants chefs des guerriers d’Abd-el-Rhaman, lors du vivant de cet émir, tué depuis cinq ans dans les plaines de Poitiers, où il livra une grande bataille à Karl-Martel (ou marteau), Abd-el-Kader, après avoir ravagé et pillé le pays et les églises de Tours et de Blois, occupait une des plus belles maisons de la cité de Narbonne, depuis la conquête arabe ; il avait fait accommoder cette demeure à la mode orientale, boucher les fenêtres extérieures, et planter de lauriers-roses la cour intérieure, au milieu de laquelle jaillissait une fontaine d’eau vive : son sérail occupait une des ailes de cette maison ; dans l’une des chambres de ce harem, tapissée d’une riche tenture, entourée de divans de soie et éclairée par une fenêtre garnie d’un treillis doré, se trouvait une femme encore d’une beauté rare, quoique elle eût environ quarante ans. Il était facile de reconnaître, à la blancheur de son teint, à la couleur blonde de ses cheveux, à l’azur de ses yeux, qu’elle n’était pas de race arabe ; on lisait sur ses traits pâles, attristés, l’habitude d’un chagrin profond ; le rideau qui fermait la porte de la chambre où elle se tenait se souleva et Abd-el-Kader entra ; ce guerrier, au teint basané, avait environ cinquante ans ; sa barbe et sa moustache grisonnaient ; sa figure, calme, grave, avait une expression de dignité douce. Il s’avança lentement vers la femme et lui dit : — Rosen-Aër, nous nous voyons peut-être aujourd’hui pour la dernière fois…

La matrone gauloise parut surprise et répondit : — Si je ne dois plus vous revoir, je vous regretterai ; je suis votre esclave ; mais vous avez été compatissant et généreux envers moi. Jamais je n’oublierai