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— Ils vont tuer Ronan… ils vont le tuer…

— Me voici revenu… les Franks ne m’ont pas tué, petite Odille, et les gens qu’ils emmenaient sont délivrés.

Qui parlait ainsi ? c’était Ronan. Quoi ? déjà de retour ? oui, les Vagres font vite et bien. D’un bond, Odille fut dans les bras de son ami.

— J’en ai tué un… il allait tuer mon Vagre ! — s’écria l’évêchesse aussi revenant… Et, jetant là son épée sanglante, le regard étincelant, le sein demi-couvert par ses longues tresses noires, désordonnées comme ses vêtements par l’action du combat, elle dit au Veneur :

— Es-tu content ?

— Forts pour l’amour, forts pour la guerre, sont tes bras nus, ma Vagredine ! — répondit le joyeux garçon. — Maintenant, un coup à boire de ta belle main !

— Boire à ma barbe ce vin qui fut le mien ! courtiser devant moi cette femme effrontée qui fut la mienne ! — murmura l’évêque, — voilà qui est monstrueux ! voilà qui est le signe précurseur des calamités effroyables qui se répandront sur la terre…

Trois des Vagres avaient été blessés : l’ermite les pansait avec tant de dextérité, qu’on pouvait le croire médecin ; il se relevait pour aller de l’un à l’autre des blessés, lorsqu’il vit s’avancer vers lui les gens que les leudes emmenaient, et qui venaient d’être délivrés par les hommes de Ronan. Ces malheureux, un instant auparavant prisonniers, étaient couverts de haillons ; mais la joie de la délivrance brillait sur leurs traits. Conviés par leurs libérateurs à boire et à manger pour réparer leurs forces, ils venaient s’acquitter et s’acquittèrent au mieux de ce soin, grâce aux provisions de la villa épiscopale. Pendant qu’ils dégonflaient les outres et faisaient disparaître le pain et le jambon, le moine dit à l’un d’eux, homme encore robuste, malgré sa barbe et ses cheveux gris :

— Frères, qui êtes-vous ? d’où venez-vous ?

— Nous sommes colons et esclaves, autrefois propriétaires et la-