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— Bénis soient leurs coups ! Plus on souffre ici-bas, plus l’on est heureux dans le paradis…

— Mais le blé que tu sèmes, ton évêque le mange ; le vin que tu foules, il le boit ; les habits que tu tisses, il s’en revêt… te voici hâve, affamé, presque nu sous tes haillons !…

— Je voudrais manger les excréments des porcs, boire leur urine, me vêtir d’épines, qui déchireraient ma peau jusqu’aux veines, mon bonheur en serait plus grand dans le paradis…

— Dis-moi, pauvre frère… le Seigneur a créé le froment, le raisin, le miel, les fruits, le lait, la douce toison des brebis… est-ce pour que sa créature se nourrisse d’ordures et se vêtisse d’épines ? réponds, mon pauvre frère ?…

— Tu n’es qu’un impie !

— Écoute-moi sans colère… Voyons : pendant que du fond de ta misère, de ta fange et de ton ignorance, tu aspires au paradis de là-haut ! est-ce que ton évêque ne se fait pas, lui, en ce monde un paradis ? est-ce que seul il ne jouit pas des biens du créateur ? Tu le sais, les greniers de ton maître regorgent de pur froment ; ses étables sont pleines de troupeaux gras ; ses viviers, de poissons ; son cellier, de vins vieux ; ses volières, d’oiseaux délicats ; il chasse en forêt la succulente venaison ; il chasse en plaine le fin gibier… après quoi il godaille, ripaille, dit sa messe et courtise ta femme, ta fille ou ta sœur…

— Mensonge !… mon seigneur et évêque ne peut faillir…

— Pauvre frère !… cela ne te révolte pas, de voir les Franks maîtres implacables de cette belle Auvergne, qu’ils nous ont larronnée ? de cette riche Auvergne, où tes pères, aujourd’hui esclaves et dépouillés de leurs biens, vivaient jadis heureux et libres, cultivant les champs paternels ?

— Mon évêque m’a commandé d’obéir aux Franks et à leurs rois comme à lui-même… Puisque leurs rois sont fils soumis de l’Église, le mal qu’ils nous font, l’esclavage qu’ils nous imposent, sont des