Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/43

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mort de mon frère, tu auras ma prairie, mes vingt sous d’or…

— Et l’esclave ?

— Et ma petite esclave blonde.

— J’ai là une charte de donation préparée… Tu vas faire venir un de tes leudes comme témoin. Mon témoin à moi sera cet ermite, afin que la donation soit en règle et selon l’usage.

— Oui, oui, mais aie pitié de moi… Si ces démons allaient m’emporter… Comme ils m’appellent ! Renvoie-les ! renvoie-les donc, mon bon patron, qu’ils ne m’entraînent pas en enfer, moi ton fils en Christ !

— Ils t’emporteraient si tu manquais à ta promesse.

— Je la tiendrai… Oh ! je la tiendrai…

— Puisque tu ne doutes plus de la puissance du Seigneur, — reprit l’évêque en frappant de nouveau du pied sur le plancher, — relève-toi, comte, ouvre les yeux, le gouffre de l’enfer est refermé (la dalle en remontant avait repris sa place). Ermite, apporte ce parchemin et ce qu’il faut pour écrire. Tu seras mon témoin.

— Je ne serai pas témoin de cette fourberie sacrilège, — répondit en latin l’ermite laboureur. — Je t’exposerais à la fureur de ce barbare en lui dévoilant cette pillerie, il te tuerait, et je ne veux pas voir ton sang couler… mais, prends garde, prends garde… tu domines par la ruse et la terreur les seigneurs stupides et féroces ; moi je domine, par l’amour que je leur porte, les opprimés et ceux qui souffrent. Prends garde ; ceux là sont nombreux.

— Voudrais-tu exciter une rebellion contre moi ? Serais-tu capable d’abuser du grand empire que tu possèdes sur le populaire ? toi que j’ai accueilli ici comme un hôte bien venu ? sans savoir pourtant si ton évêque t’avait permis de sortir de son diocèse (K).

— Demain, avant de continuer ma route, je te dirai ce que j’attends de toi…

Cautin, à qui l’ermite laboureur imposait, frappa sur un timbre pendant que le comte, toujours agenouillé, tremblant de tous ses