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vallée ; quelques vieux Vagres, un peu moins âgés, vinrent ensuite ; puis les enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants de cette Vagrerie jadis si désordonnée, si redoutable.

Loysik, averti de l’approche de ses amis, s’est, pour les recevoir, avancé à la porte de l’enceinte du monastère ; il porte, de même que tous les frères de la communauté, une robe de grosse laine brune, assujettie aux reins par une ceinture de cuir. Son front est devenu complètement chauve, sa longue barbe, d’un blanc de neige, tombe sur sa poitrine ; sa taille est encore droite, sa démarche alerte, quoiqu’il ait quatre-vingts ans passés ; ses mains vénérables sont seulement agitées d’un léger tremblement. La foule s’arrête, Ronan s’approche et dit :

— Loysik, il y a aujourd’hui cinquante et un ans qu’une troupe de Vagres déterminés t’attendait sur les confins de la Bourgogne ; tu es venu à nous, tu nous as fait entendre de sages paroles, tu nous as prêché les mâles vertus du travail et du foyer domestique, puis tu nous as mis à même de pratiquer ces vertus en offrant à notre troupe la libre jouissance de cette vallée… Un an après, il y a cinquante ans de cela, notre colonie naissante fêtait le premier anniversaire de son établissement en ce pays ; aujourd’hui nous venons, nous, nos enfants et les enfants de nos enfants, te dire une fois de plus, par ma voix : éternelle reconnaissance et amitié à Loysik !

— Oui, oui, — cria la foule, — reconnaissance éternelle à Loysik, notre ami, notre bon père !…

Le vieux moine laboureur fut très-ému ; de douces larmes coulèrent de ses yeux, il fit signe qu’il voulait parler, et il dit, au milieu d’un grand silence :

— Mes amis, mes frères, vous qui viviez il y a cinquante ans, et vous autres qui n’avez connu ces terribles temps que par les récits de vos pères, ma joie est grande en ce jour… Les fondateurs de cette colonie, après s’être fait craindre, ont su se faire aimer et respecter en se montrant hommes de labeur, de paix et de famille… Un heu-