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l’arsenal avait été soigneusement entretenu et augmenté. Deux fois par mois, dans le village ainsi que dans la communauté, l’on s’exerçait au maniement des armes, exercice salubre au corps et toujours utile en ces temps de terribles violences, disait Loysik.

Donc, les moines laboureurs dressaient des tables de tous côtés ; sur ces tables, ils plaçaient avec un innocent orgueil les fruits de leurs travaux, beau pain de froment de leurs terres, vin généreux de leur vignoble, quartiers de bœufs et de moutons de leurs étables, fruits et légumes de leurs jardins, laitage de leurs troupeaux, miel de leurs ruches. Cette abondance, ils la devaient à leur rude labeur quotidien ; ils en jouissaient, quoi de plus légitime ? et c’était encore une légitime satisfaction pour les moines laboureurs de montrer à leurs vieux amis de la vallée qu’ils étaient non moins qu’eux bons laboureurs, fins vignerons, habiles jardiniers, soigneux pasteurs.

Parfois il arrivait aussi (le diable est si malin) qu’à l’un de ces anniversaires où les femmes et les jeunes filles pouvaient entrer dans l’intérieur du monastère, quelque moine laboureur, s’apercevant à l’impression que lui causait une belle jeune fille qu’il s’était trop prématurément épris de l’austère liberté du célibat, ouvrait son cœur à Loysik ; celui-ci exigeait trois mois de réflexion de la part du frère, et s’il persistait dans sa vocation conjugale, on voyait bientôt Loysik, appuyé sur son bâton, gagner le village ; là, il s’entretenait avec les parents de la jeune fille de la convenance du mariage, et presque toujours, quelques mois après, la colonie comptait un ménage de plus, la communauté un frère de moins, et Loysik de dire, en manière de moralité : « Voici qui prouve la dangereuse imprudence des vœux éternels. »

Les préparatifs de réception étaient depuis longtemps achevés dans l’intérieur du monastère, le soleil se couchait lorsque les moines laboureurs entendirent un grand bruit au dehors ; la colonie tout entière arrivait. En tête de la foule marchent Ronan et le Veneur, Odille et l’évêchesse ; ce sont les quatre plus anciens habitants de la