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grand nombre de femmes qui couraient avec nous la Vagrerie. Au premier rang parmi elles se trouvaient Odille et l’évêchesse. Loysik portait ce jour-là une robe de grosse laine blanche ; un rayon du soleil couchant, traversant les châtaigniers, semblait entourer d’une auréole dorée sa grave et douce figure encadrée de ses longs cheveux, séparés sur son front un peu chauve, et blonds comme sa barbe légère. Je ne sais pourquoi me vint alors à la pensée le souvenir du jeune homme de Nazareth, prêchant sur la montagne la foule vagabonde dont il était toujours suivi… Un grand silence se fit dans notre troupe ; Loysik nous dit ces paroles, que bientôt après j’ai écrites sur ce parchemin que voici, afin de ne pas les oublier :

« — Mes amis, mes frères, vous tous qui m’entendez, je reviens au milieu de vous avec la bonne nouvelle… écoutez-moi : jusqu’ici vous avez, par de terribles représailles, rendu aux Franks et aux évêques le mal pour le mal : les méchants l’ont voulu, la violence a appelé la violence ! l’oppression, la révolte ; l’iniquité, la vengeance ! Elles se sont réalisées, ces menaçantes paroles de Jésus : Qui frappera de l’épée périra par l’épée ! — Malheur à vous qui retenez votre prochain en esclavage ! — Malheur à vous, riches au cœur impitoyable ! Aux pauvres qui manquaient du nécessaire, vous avez distribué les biens de ces conquérants pillards ou de ces nouveaux princes des prêtres, race de serpents et de vipères, qui, selon le Christ, dévore le bien des pauvres. — Affreux hypocrites qui jurent par l’or de l’autel et non par la sainteté du temple… Beaucoup d’hommes endurcis, frappés par vous de terreur, ont dès lors montré quelque charité… Vous avez enfin fait justice ; mais, hélas ! justice aventureuse, implacable, comme nos temps implacables ! temps de tyrannie et de guerre civile, d’esclavage et de révolte, de misère atroce et de criminelle opulence ! effrayants désastres qui ont jeté les peuples hors de toutes les voies humaines. L’éternelle notion du juste et de l’injuste, du bien et du mal, s’obscurcit dans les esprits : les uns, hébétés par l’épou-