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gardé la mémoire !… Ô Joel ! combien de temps votre descendance doit-elle souffrir encore avant que la Gaule se soit relevée, libre, fière et à jamais délivrée du joug des rois franks et des pontifes de Rome… Que de sueurs ! que de larmes ! que de sang doit verser encore votre race, ô Brennus ! ô Joel ! avant l’avénement de ce glorieux jour de bonheur et de liberté !

Le Vagre fut tiré de sa rêverie par la voix du frère de son père.

— Ronan, — dit Kervan, — la gelée a durci la terre, les troupeaux ne peuvent sortir des étables ; nous avons à cribler le grain à la maison… viens, rentrons ; pendant notre travail tu nous diras les événements qui complètent ton récit. Après ton départ, je te promets de transcrire fidèlement la suite de l’histoire de ta vie.

Ronan et la famille de Kervan sont rassemblés dans la grande salle de la métairie ; après le repas du matin les femmes filent leur quenouille ou s’occupent des soins domestiques ; les hommes criblent le grain qu’ils tirent de grands sacs et qu’ils reversent dans d’autres. Des troncs d’orme et de chêne brûlent dans l’immense foyer, car au dehors vive est la froidure ; Ronan va parler ; on fait silence, et chacun tout en s’occupant de ses travaux jette de temps à autre un regard curieux sur le Vagre, fils du Bagaude.

— Mon oncle, — dit Ronan, — vous avez lu ce récit ?

— Nous tous qui sommes ici nous l’avons entendu…

— Et que pensez-vous maintenant des Bagaudes et des Vagres ?

— Je pense, ainsi que ton frère Loysik, que ces représailles contre les horreurs de la conquête franque, représailles légitimées par la conquête elle même, étaient malheureusement stériles et désastreuses comme l’est la vengeance si juste qu’elle soit ; cependant, je crois, je sens qu’il fallait frapper de terreur ces féroces conquérants ! sur eux seuls doit retomber tant de sang versé…


— Implacable et légitime a été notre vengeance, mais non pas stérile, Loysik l’a proclamé lui-même ; rappelez-vous ces paroles de votre grand-père Araïm, à propos de la Bagaudie, je les ai lues cette