de six cents ans, Joel et sa famille, sont occupés, autour du foyer, aux travaux de la veillée. À une violent raffale de vent, Kervan dit à sa sœur :
— Bonne Roselyk, c’est par une nuit semblable, qu’il y a beaucoup d’années, ce colporteur maudit… te souviens-tu ?
— Hélas ! oui… et le lendemain notre pauvre frère Karadeuk nous quittait pour jamais… Sa disparition a causé tant de chagrin à notre bon grand-père Araïm, qu’il est mort en pleurant son petit-fils… Peu de temps après, nous avons perdu notre mère Madalèn, devenue presque folle de douleur… Seul, notre père Jocelyn a résisté plus longtemps au chagrin… Ah ! notre frère Karadeuk n’a été que trop puni de son désir de voir des Korrigans…
— Les Korrigans ? tante Roselyk, — reprit Yvon, fils de Kervan, — ces petites fées d’autrefois, dont le vieux Gildas, le tondeur de brebis, parle souvent ? On ne les voit plus depuis longues années dans le pays, les Korrigans, non plus que les Dûs, autres petits nains.
— Heureusement, mon enfant, le pays est débarrassé de ces génies malfaisants… Sans eux, ton oncle Karadeuk serait peut-être à cette heure avec nous à la veillée…
— Et jamais, mon père, vous n’avez eu de nouvelles de lui ?
— Jamais, mon fils ! il est mort sans doute au milieu de ces guerres civiles, de ces désastres, qui continuent de déchirer la vieille Gaule, sous le règne des descendants de Clovis.
— Puisse notre Bretagne ignorer longtemps ces maux dont souffrent si cruellement les autres provinces !
— Notre vieille Armorique a su jusqu’ici conserver son indépendance, et repousser l’invasion des Franks, pourquoi faiblirions-nous à l’avenir ? Nos chefs de tribus, choisis par nous, sont vaillants… le chef des chefs, choisi par eux, le vieux Kanâo, qui veille sur nos frontières, est aussi intrépide qu’expérimenté… n’a-t-il pas déjà repoussé victorieusement les attaques des Franks ?
— Et trois fois déjà tu as été appelé aux armes, Kervan, nous lais-