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On arrive à la lisière de la forêt, alors que l’aube naissait ; elle est hâtive au mois de juin ; au loin, l’on aperçoit, luttant contre les premières clartés du jour, une lueur immense ; ce sont les ruines du burg encore embrasées.

Ronan et l’ermite laboureur sont déposés sur l’herbe ; la petite Odille est assise à leurs côtés. L’évêchesse s’agenouille près de l’enfant pour visiter sa blessure ; les Vagres et les esclaves révoltés se rangent en cercle ; le comte, toujours garrotté, l’air farouche, résolu, car ces barbares, féroces pillards et lâches dans leur vengeance, ont une bravoure sauvage, c’est à leurs ennemis de le dire ; il jette sur les Vagres un regard intrépide ; le vieux Karadeuk, vigoureux encore, semble rajeuni de vingt ans ; la joie d’avoir sauvé ses fils et de tenir en son pouvoir un Neroweg, semble lui donner une vie nouvelle ; son regard brille, sa joue est enflammée, il contemple le comte d’un œil avide.

— Nous allons être vengés, — dit Ronan, — tu vas être vengée, petite Odille.

— Ronan, je ne demande pas pour moi de vengeance ; dans la prison je disais au bon ermite laboureur : Si je redevenais libre, je ne rendrais pas le mal pour le mal ; n’est-ce pas, Loysik ?

— Oui, douce enfant… douce comme le pardon ; mais ne craignez rien, notre père ne tuera pas cet homme désarmé.

— Il ne le tuera pas, mon frère ? Si, de par le diable ! notre père tuera ce Frank, aussi vrai qu’il nous a fait mettre tous deux à la torture, qu’il a accablé de coups cette enfant de quinze ans avant de la violenter… Sang et massacre ! pas de pitié !

— Non, Ronan, notre père ne tuera pas un homme sans défense.

— Vous tardez beaucoup à m’égorger, chiens gaulois ! qu’attendez-vous donc ? Et toi, bateleur, chef de ces bandits ! qu’as-tu à me regarder ainsi en silence ?

— C’est qu’en te regardant ainsi, Neroweg, je songe au passé… je me souviens…