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ours qui ne s’attend point à mal, tenant nonchalamment son bâton entre ses pattes de devant, et le quittant parfois pour se gratter prestement avec des mouvements d’un gracieux et naturel abandon. Soudain les trompes de chasse, les tambours redoublèrent leur vacarme assourdissant ; Gondulf, le veneur du comte, entra dans le cercle, tenant en laisse deux limiers monstrueux ; de leur cou énorme tombait, jusque sur leur large poitrail, un fanon pareil à celui des taureaux ; leurs yeux, caves, sanglants, étaient à demi cachés par leurs longues oreilles pendantes ; le noir, le fauve et le blanc nuançaient leur poil rude, qui se hérissa droit sur leur dos lorsqu’ils aperçurent l’ours ; faisant entendre alors des aboiements formidables, d’un élan furieux ils brisèrent la laisse que Gondulf tenait encore, et en deux bonds ils se précipitèrent sur l’amant de l’évêchesse.

— Hardi, Mirff ! hardi, Morff ! — cria le comte en battant des mains, — hardi ! à la curée, mes farouches ! ne lui laissez pas un morceau de chair sur les os !…

— À moins d’un prodige de force et d’adresse, mon compagnon va être mis en pièces, notre ruse découverte, et la dernière chance de salut pour mes fils perdue… Alors je poignarde le comte et le roi ! — se dit Karadeuk, et en pensant cela, il cherchait sous sa saie le manche de son poignard, et le tint serré dans sa main, prêt à agir.

Le Vagre-ours, à l’aspect des chiens, continua son rôle avec présence d’esprit, bravoure et dextérité ; il fit un mouvement de surprise ; puis s’acculant au poteau, il s’apprêta, le bâton haut, à repousser l’attaque des chiens : au moment où Mirff s’élançait le premier pour le saisir au ventre, le Veneur lui asséna sur la tête un si furieux coup de bâton, qu’il se brisa en trois morceaux, et Mirff tomba comme foudroyé en poussant un hurlement terrible.

— Malédiction ! — s’écria le comte, — un limier qui m’avait coûté trois sous d’or (BB) ! Oh là ! que l’on m’éventre cet ours enragé à coups d’épieu !

Les imprécations du comte furent couvertes par les acclamations