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n’ait pu goûter ses sauces, mais ce n’en est pas moins un pitoyable cuisinier… cela ne m’étonne pas, un cuisinier ramassé par hasard sur le grand chemin… qu’attendre d’un pareil rebut ! quand je pense que le mien, qui n’est point parfait, m’a coûté cent sous d’or… c’est vraiment une peste que de mauvais cuisiniers ; ils gâtent les meilleures choses… ainsi par exemple : voici des grues… des grues ! gibier succulent, succulent par excellence lorsqu’il est congrûment accommodé… or, comment cet âne de cuisinier nous les sert-il, ces grues ? bouillies à l’eau ! des grues bouillies à l’eau !

— Allons, patron, calme-toi, une autre fois on les fera rôtir…

— Rôtir !… mais malheureux comte, c’est encore plus criminel ! des grues rôties !…

— Ni bouillies, ni rôties, comment donc faire alors ?…

— Veux-tu le savoir ?

— Oui…

— Écoutez ici, majordome, et vous donnerez cette recette au cuisinier, si tant est qu’il soit capable et digne de l’exécuter…

— Oh ! saint évêque ! le fouet aidant… il faudra bien que le cuisinier exécute la recette.

— Or donc, majordome, cette recette, la voici ; je déclare humblement et véridiquement que je ne suis point l’auteur de cette manière d’accommoder les grues ; je l’ai lue et apprise dans les écrits d’Apicius, célèbre gourmet romain, mort, hélas ! il y a de longues années, mais son génie vivra tant que vivront les grues !…

— Voyons, patron… voyons ta recette…

— Or donc : vous lavez et parez votre grue, et la mettez dans une marmite de terre avec de l’eau, du sel et de l’anet

— Eh bien ! c’est ce qu’a fait le cuisinier ; il a fait bouillir la grue avec de l’eau et du sel…

— Mais laisse-moi donc achever ! barbare, et tu verras que cet âne paresseux s’est arrêté au commencement du chemin, au lieu de le poursuivre jusqu’au bout… Donc, vous laissez réduire de moitié l’eau