avant le repas du matin, avait déjà opéré son petit miracle ; le saint homme n’osait, malgré son aversion pour Chram, s’attaquer à lui, moins encore au Lion de Poitiers ; le Gaulois renégat rancuneux en diable à l’endroit du miracle matinal, avait plus tard dit à l’homme de Dieu, en lui lançant de véritables regards de lion courroucé : « Tu m’as forcé de descendre de cheval et de m’agenouiller devant toi, je me vengerai, j’attends mon heure. » La victime des railleries sardoniques de l’évêque était Neroweg, assez habituellement stupide et sans réplique.
— Comte, — lui disait Cautin, — ton hospitalité part du cœur, j’en suis certain ; mais ton repas est exécrable en son abondance… ce ne sont que viandes et poissons bouillis ou grillés, servis à profusion et sans recherche… vrai festin de barbare vivant de son troupeau, de sa chasse et de sa pêche ; on ne trouve ici aucun accommodement délicat et sollicitant la faim ; on est repu, voilà tout, c’est pitoyable ! j’en prends à témoin sa gloire le roi Chram.
— Notre hôte et ami Neroweg fait de son mieux, — dit Chram, qui, pour ses projets déjà dérangés par la torture de Ronan le Vagre, voulait se ménager le comte. — Devant la cordiale hospitalité de Neroweg je songe peu au festin.
— Moi, j’y songe, glorieux roi, parce que j’ai déjà festiné ici et que je compte y festiner encore, — reprit l’évêque. — Cent fois je l’ai dit au comte ; il a de détestables cuisiniers… il est avaricieux… et ne sait point mettre le prix aux choses… Voyons, Neroweg, combien t’a coûté l’esclave chef de tes cuisiniers ?
— Il ne m’a rien coûté du tout… mes leudes, en revenant de Clermont, l’ont trouvé sur la route ; ils l’ont pris et amené ici garrotté ! mais hier il a eu les pieds brûlés par l’épreuve du jugement de Dieu, et ensuite la langue coupée pour ses blasphèmes ; il a dû s’en ressentir aujourd’hui et se faire aider par d’autres esclaves moins habiles que lui pour préparer ce festin.
— Je comprends, à la rigueur, qu’ayant eu la langue coupée, il