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cente encore après ton déshonneur !… Meurs donc, petite Odille… Aussi vrai que moi et mon frère Loysik nous serons suppliciés demain, je redoute moins ce supplice que de te voir brûlée vive, puisque je serai mis à mort le dernier !… Oh ! si je n’avais les jambes en lambeaux, je me traînerais jusqu’à toi ; oh ! si je n’avais les mains enchaînées, je t’étoufferais d’une main prévoyante, de même que nos mères, les viriles Gauloises d’autrefois, tuaient leurs enfants pour les soustraire à l’esclavage ! Belle évêchesse ! toi dont les bras sont libres, ne pourrais-tu étrangler doucement cette chère enfant ? Le léger souffle de vie qui la soutient à peine serait si vite éteint !

— J’y ai déjà songé… Ronan, et je n’ose…

— Mais si par hasard elle survit, son sort sera le tien… Écoutez bien : vous serez d’abord mises nues devant cette bande de Franks ! et par eux fouettées de houssines !

— Tais-toi… Ronan… tais-toi, le rouge me monte au front !… Pour moi, femme, là est le pire du supplice…

— Ton mari l’évêque le savait… comme il savait que la torture d’aujourd’hui te ferait perdre une partie de tes forces nécessaires pour endurer le supplice de demain ; aussi t’a-t-il benoîtement épargnée tantôt… vous serez ensuite mises chacune sur un pal aigu. C’est encore ton mari l’évêque qui doit avoir imaginé ceci… lui, qui jadis inventa d’enfermer un vivant dans un sépulcre avec un mort en putréfaction… Ah ! j’oubliais… avant le supplice du pal, on vous arrachera le bout des seins avec des tenailles ardentes ; ce raffinement sent son roi Chram d’une lieue. Enfin, vous serez jetées dans le bûcher encore un peu vivantes… La torture est, tu le vois, finement graduée ! et tu ne veux pas, toi qui le peux, y soustraire cette douce enfant ?… Ah ! tu te décides enfin !… tes mains s’approchent du cou de la petite Odille… Allons, pas de faiblesse ! souviens-toi de nos mères… mettant à mort les enfants qu’elles chérissaient… Mais quoi ! tu hésites !… tes mains retombent !… tu pleures !…

— Je n’ose pas… je n’ose pas…