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avait convié Neroweg, n’aurait pas reconnu Cautin. Ce saint homme, tête à tête avec le comte, stupide, brutal et aveugle croyant, ne recherchait point la dignité dans son langage ; mais en présence de Chram, effronté railleur qu’il détestait, il sentait le besoin d’imposer, par ses paroles et par son attitude, le respect et la crainte, sinon au prince et à ses favoris, aussi impudents que lui, du moins à leur suite, beaucoup plus dévotieuse ; puis, autre grave appréhension pour Cautin et pour sa bourse, il craignait fort que l’audacieux exemple de Chram et de ses amis ne vînt altérer la naïve et fructueuse crédulité de Neroweg, dont Cautin tirait un parti si profitable en cultivant et exploitant la peur du diable dont était possédé son fils en Dieu. Du coin de l’œil l’évêque voyait le comte sournoisement écouter, d’un air à la fois satisfait et effrayé, les insolentes railleries de Chram, se demandant sans doute si lui, Neroweg, n’était pas bien sot de croire à la puissance miraculeuse de l’évêque et de payer si cher les absolutions de ce patron. Cautin, en homme habile, voulut frapper un grand coup. Habitué à observer les signes précurseurs des orages, si fréquents et si subits dans les pays de montagnes, il se servait, ainsi que tant d’autres prêtres, de ses connaissances atmosphériques pour épouvanter les simples (U) ; le prélat remarquait donc depuis quelque temps une nuée noire, qui d’abord à peine visible et formée sur la cime d’un pic à l’extrême horizon, s’approchant rapidement, devait bientôt s’étendre et obscurcir le ciel et le soleil, encore radieux ; aussi Cautin, à une nouvelle insolence de Chram sur les fourberies épiscopales, répondit en tâchant de calculer et de mesurer la longueur de sa réplique sur la marche de l’orageuse nuée qui s’avançait :

— Ce n’est point à un serviteur indigne, à un humble ver de terre comme moi de défendre en ce moment l’Église du seigneur Dieu ; il a sa grâce et ses miracles pour convaincre les incrédules, ses châtiments célestes pour punir les impies ; aussi, malheur à qui oserait ici, à la face de ce soleil qui brille en ce moment sur nos têtes d’un si vif