Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il avait une maison royale. Après ces personnages s’avançait sa truste, formée de ses leudes et antrustions armés en guerre ; leurs casques ornés de panaches, leurs cuirasses, leurs jambards brillants et polis étincelaient aux rayons du soleil ; leurs chevaux fringants piaffaient sous leurs riches caparaçons ; les banderolles de leurs lances flottaient au vent, et leurs boucliers peints et dorés se balançaient, suspendus à l’arçon de leur selle. Autant cette suite royale était fringante, autant la troupe des leudes du comte était misérable, grotesque et piètrement armée ; un assez grand nombre de ses hommes portait des armures, mais incomplètes et rouillées ; d’autres, seulement vêtus de casaques de peaux de bêtes, coiffaient militairement un casque bossué ; d’autres, possesseurs d’une cuirasse, avaient la tête couverte d’un bonnet de laine ; les épées, non moins rouillées que les cuirasses, étaient, pour la plupart, veuves de leur fourreau ; souvent cet étui guerrier était raccommodé avec des ficelles, et plus d’un bois de lance tortu sortait brut du taillis avec son écorce ; la plupart des chevaux valaient, pour l’apparence, leurs cavaliers. Le temps des labours n’étant pas encore venu, bon nombre des compagnons de Neroweg, faute de chevaux de guerre, enfourchaient des traîneurs de charrue, bridés avec des cordes. Aussi, foi de Vagre, rien de plus réjouissant que de voir déjà quels regards envieux et farouches les leudes du comte jetaient sur la brillante suite de Chram et quels regards insolents et moqueurs cette fière truste royale jetait sur la troupe du comte, troupe sauvage et dépenaillée. Derrière les gens de guerre du prince venaient les pages, les serviteurs et les esclaves à pied, conduisant des chariots attelés de bœufs ou des chevaux lourdement chargés, chevaux et chariots que les habitants du pays traversé par le roi et sa truste, étaient forcés de fournir gratuitement (S).

Le comte Neroweg s’avança seul, à cheval, vers son royal hôte, qui, arrêtant aussi sa monture, dit à Neroweg :

— Comte, en allant de Clermont à Poitiers j’ai voulu m’arrêter un ou deux jours dans ton burg.