— Oh ! j’ai peur !… j’ai peur !…
C’était Neroweg… Ses dernières libations faites pour s’étourdir sur sa crainte du diable, l’avaient plongé dans une ivresse à peu près complète ; aussi, entra-t-il chez sa femme trébuchant sur ses jambes avinées. À l’aspect de leur maître, les esclaves se levèrent craintives ; Godégisèle tremblait si fort, qu’elle put à peine se soulever de dessus son escabeau, tant elle se sentait faible. Le comte s’arrêta un instant au seuil de la porte, une main appuyée à l’un des chambranles et balançant légèrement son corps d’avant en arrière, tout en promenant sur les esclaves intimidées un regard demi-hébêté, demi-luxurieux ; enfin, après un hoquet, il dit à la confidente de sa femme :
— Morise, viens…
Et regardant Godégisèle, il ajouta :
— Tu es bien pâle… tu as l’air troublé… Pourquoi es-tu si pâle, toi ?…
La pauvre créature se souvenait sans doute que la nuit où il avait étranglé sa dernière femme, le comte avait dit aussi à une esclave : Viens ! de sorte que les paroles de Neroweg, la troublant et l’effrayant davantage encore, Godégisèle ne put que murmurer presque sans savoir ce qu’elle disait :
— Monseigneur !… monseigneur !…
— Quoi ? qu’as-tu ?… Réponds, — reprit brutalement le comte. — Voudrais-tu te révolter parce que j’ai dit à cet esclave : viens ?…
— Non… oh ! non !… monseigneur n’est-il pas ici le maître, et moi, Godégisèle, son humble servante ?…
Et perdant tout à fait la tête, cette malheureuse déjà se voyant étranglée comme Wisigarde, parce que celle-ci avait refusé d’éclairer son mari et sa maîtresse jusqu’à la couche conjugale, se hâta de balbutier :
— Et même… si monseigneur le désire… je vais l’éclairer, avec cette lampe, jusqu’à son lit.
— Ah ! madame ! — lui dit tout bas Morise, — quelle mauvaise