Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Madame.

— Vous ne me haïssez pas, vous autres ? 


— Non, madame ; vous n’êtes pas méchante comme Wisigarde… vous ne nous battez pas et ne nous mordez jamais.

— Morise…

— Madame… Mais quoi ! vous gardez le silence et vous voici rouge comme braise, vous toujours si pâle !…

— C’est que je n’ose te dire… Enfin, écoute-moi, tu es… tu es… l’une des favorites de monseigneur le comte…

— Il le faut bien… sinon de gré, du moins de force… Malgré ma répugnance, j’aime encore mieux partager son lit quand il l’ordonne, que d’être hachée de coups de fouet ou d’aller tourner la meule du moulin… et puis ainsi, je suis employée aux travaux de la maison ; c’est un métier moins rude que d’être esclave des champs… on a moins de mal et la nourriture est moins mauvaise.

— Je sais… je sais… Aussi, je ne te blâme pas, Morise ; mais réponds-moi sans mentir : lorsque tu es avec monseigneur le comte, tu ne cherches pas à l’irriter contre moi ?… Hélas ! on a vu des esclaves faire ainsi tuer leur maîtresse, et ensuite devenir les femmes de leur seigneur.

— J’ai tant d’aversion pour lui, madame, que, je vous le jure, je ne desserre les dents qu’afin de répondre oui ou non s’il m’interroge… D’ailleurs, comme le soir presque toujours il est ivre quand il m’emmène d’ici, c’est à peine s’il me parle… Je n’ai donc ni le loisir ni l’envie de lui dire du mal de vous.

— C’est bien vrai, Morise, c’est bien vrai ?…

— Oh ! oui, madame…


— Je voudrais te faire quelques petits présents, mais monseigneur ne me donne jamais d’argent ; il le tient sous clef dans ses coffres, et pour morghen-gab, présent du matin que dans notre pays le mari fait à son épousée, le comte m’a donné les vêtements et les bijoux de sa quatrième femme Wisigarde… Chaque jour il me demande à les