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que Godégisèle fût de frêle et petite taille, la riche robe dont elle était vêtue semblait faite pour une femme très-grande et très-forte. Une vingtaine de jeunes esclaves, misérablement habillées, assises à terre sur la feuillée dont le sol était jonché, entouraient la femme du comte, siégeant sur un escabel à bras, recouvert d’un tapis brodé d’argent ; plusieurs, parmi les esclaves, étaient jolies : les unes, ainsi que leur maîtresse, filaient leur quenouille ; d’autres s’occupaient de travaux d’aiguille ; parfois elles causaient entre elles à voix basse, en langue gauloise, que leur maîtresse, d’origine franque, comprenait difficilement. L’une d’elles, nommée Morise, belle jeune fille à cheveux noirs, vendue à dix ans à un noble frank, parlait couramment l’idiome des conquérants, et Godégisèle s’entretenait de préférence avec elle. En ce moment elle lui disait d’une voix craintive, cessant de filer sa quenouille, qu’elle tenait posée en travers sur ses genoux :

— Ainsi, Morise, tu l’as vu tuer ?…

— Oui, madame… Elle portait ce jour-là cette même robe verte, à fleurs d’argent, que vous portez maintenant, et aussi le beau collier et les riches bracelets que vous portez.

Godégisèle frissonna et ne put s’empêcher de jeter un regard effaré sur ses bracelets et sur sa robe, deux fois trop large pour elle.

— Et… à propos de quoi l’a-t-il tuée, Morise ?…

— Ce soir-là il avait bu encore plus que de coutume… il est entré ici, où nous sommes, tout trébuchant… C’était l’hiver… il y avait du feu dans ce foyer… Sa femme Wisigarde était assise au coin de la cheminée… Le seigneur comte avait alors parmi nous pour favorite une lavandière nommée Martine… Il se tenait ce soir-là, je vous l’ai dit, madame, à peine sur ses jambes… Il se mit à dire à Martine : « Viens nous coucher… et toi, Wisigarde, » — ajouta-t-il en s’adressant à sa femme, — « prends la lampe et éclaire-nous. »

— C’était pour Wisigarde beaucoup de honte.

— D’autant plus, madame, qu’elle avait le cœur fier, le caractère