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— Non, te dis-je, noble comte, ce châtiment suffira… Nous ne voulons point d’ailleurs la mort du pécheur… En lui retranchant sa langue blasphématrice, les tenailles, du même coup, feront la plaie et la cicatriseront par la brûlure.

— Si tu crois le châtiment suffisant, clerc, je le préfère, car cet esclave est excellent ; mais un cuisinier n’a pas besoin de sa langue pour cuisiner.

L’esclave gaulois eut donc la langue tranchée avec les tenailles rougies au feu ; après quoi, le comte, assez rassuré sur la diabolique apparition qu’il redoutait toujours, voulut néanmoins s’étourdir complètement sur ses appréhensions en vidant plusieurs coupes. Il rentra donc dans la salle du festin avec ses leudes, avant d’aller retrouver sa femme dans son gynécée, pour y passer la nuit.




Godégisèle, pendant que son seigneur et maître Neroweg buvait encore avec ses leudes, Godégisèle, la cinquième femme du comte, retirée, selon la coutume, dans sa chambre, filait sa quenouille, au milieu de ses esclaves, à la clarté d’une lampe de cuivre. Godégisèle, toute jeune encore, était délicate et frêle ; elle avait le teint d’une blancheur de cire, ses longs cheveux, d’un blond pâle, tressés en nattes et à demi couverts de son obbon (ainsi que les Franks appellent cette sorte de calotte d’étoffe d’or et d’argent), tombaient sur ses épaules nues, ainsi que ses bras. Son état de grossesse avancée donnait à ses traits doux et tristes une expression de souffrance. Godégisèle portait le costume des femmes franques de haute condition : une longue robe décolletée, à manches ouvertes et flottantes, serrée par une écharpe à sa taille, alors déformée ; ses bras étaient ornés de bracelets d’or, enrichis de pierreries, et autour de son cou s’arrondissait un large collier d’or, piqué de rubis, nommé murêne, du nom d’un poisson qui, lorsqu’il est pris, se cintre, de sorte que sa tête touche à sa queue. Une chose rendait ce costume étrange ; bien