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L’ermite et le Vagre restèrent longtemps embrassés… Après leur premier épanchement de tendresse, Ronan dit à Loysik :

— Et notre père ?

— Comme toi, j’ignore son sort… ne désespérons pas de le retrouver… Ne t’ai-je pas retrouvé, toi ?

— Ton instinct fraternel t’a donc poussé à nous accompagner ?

— Je ne t’ai reconnu pour mon frère qu’à ton attendrissement causé par le bardit d’Hêna, une de tes aïeules, m’as-tu dit. Alors, pour moi, plus de doute, nous étions frères ou proches parents ; le récit de ta vie m’a prouvé que nous étions frères…

— Et pourquoi nous as-tu d’abord suivis en Vagrerie, toi, un véritablement saint homme ?

— Ne m’as-tu pas entendu répondre à l’évêque Cautin : « Ce ne sont pas les bien portants, mais les malades qui ont besoin de médecin, » a dit Jésus…

— Me blâmerais-tu d’être Vagre, comme mon père a été Bagaude ?…

— Écoute-moi, Ronan… Comme toi, j’ai horreur de l’esclavage et de la conquête, car depuis l’invasion franque, la Gaule jadis puissante et féconde est couverte de ruines et de ronces : les propriétaires, les colons, les laboureurs, ont fui devant les barbares qui les réduisent à la servitude ou à une misère affreuse ; grand nombre de ces malheureux, poussés à bout par le désespoir, courent comme toi la Vagrerie ; de rares esclaves, mourants de faim, écrasés de travail, cultivent seuls, sous le fouet, les biens de l’Église et des seigneurs franks… Les cités, autrefois si riches, si florissantes par leur commerce, aujourd’hui ruinées, presque dépeuplées, mais au moins défendues par leurs murailles, offrent plus de sécurité à leurs habitants, et encore les guerres civiles incessantes des fils de Clovis, toujours acharnés à se dépouiller entre eux, livrent parfois ces villes à l’incendie, au pillage et au massacre… Pendant les trêves, à peine les habitants osent-ils sortir de leurs murs ; les routes infestées de bandes