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tard, quand les Franks nous ont baptisés Vagres, Vagre il est devenu : le nom était changé, le métier le même…

— Et ta mère ?

— En Vagrerie on connaît peu sa mère ; je n’ai jamais connu la mienne. Du plus loin qu’il m’en souvient, je devais alors avoir sept ou huit ans ; j’accompagnais mon père et la troupe dans ses courses, tantôt en Provence, tantôt ici, en Auvergne : étais-je fatigué, mon père ou l’un de nos compagnons me portait sur son dos. J’ai ainsi grandi ; nous avions souvent des jours de repos forcé… Parfois les comtes franks, exaspérés contre nous, se rassemblaient, eux et leurs leudes, pour nous donner la chasse… Avertis de leurs mouvements par les pauvres habitants des champs qui nous aimaient, nous nous retirions dans nos repaires inaccessibles, et pendant quelques jours nous faisions les morts, tandis que les Franks battaient la campagne sans rencontrer l’ombre d’un Vagre… Durant ces jours de trêve, au fond de quelque solitude, mon père, je te l’ai dit, me racontait des histoires du temps passé ; j’ai appris ainsi que notre famille était originaire de Bretagne, où elle vivait, où elle vit peut-être encore libre et paisible à cette heure, puisque jamais jusqu’ici les Franks n’ont pu entamer cette rude province : son granit est trop dur, et ses Bretons sont comme le granit de leurs rocs…

— Je sais le proverbe : C’est un homme dur de l’Armorique.

— Mon père me l’a aussi souvent cité.

— Mais comment a-t-il quitté cette province paisible et libre encore aujourd’hui, grâce à son indomptable courage, que soutient toujours sa foi druidique, régénérée par la morale évangélique ?

— Mon père avait dix-sept ans… un jour sa famille donna l’hospitalité à un colporteur ; celui-ci, courant la Gaule pour son métier, raconta les malheurs du pays, et parla de la vie aventureuse des Bagaudes. Mon père s’ennuyait de la vie des champs ; il avait le cœur chaud, la tête ardente, il avait sucé au berceau la haine des Franks. Frappé des récits du colporteur, il trouva l’occasion belle pour guer-