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cette circonstance qui, rappelant à mon esprit certains souvenirs, éveillait aussi en moi une vague défiance, — et de ces indignités il n’existe pas d’autre preuve que la parole du secrétaire de Tétrik ?

– Ce secrétaire nous a rapporté les paroles de son maître, rien de plus…

Pendant cet entretien, auquel je prêtais une attention de plus en plus vive, notre barque, conduite par les quatre vigoureux rameurs, avait traversé le Rhin dans toute sa largeur ; les soldats tournaient le dos à la rive où nous allions aborder ; moi, j’étais tellement absorbé par ce que j’apprenais de la désaffection croissante de l’armée à l’égard de Victorin, que je n’avais pas songé à jeter les yeux sur le rivage, dont nous approchions de plus en plus… Soudain j’entendis une foule de sifflements aigus retentir autour de nous et je m’écriai :

– Jetez-vous à plat sur les bancs !

Il était trop tard. ; une volée de longues flèches criblait notre bateau : l’un des rameurs fut tué, tandis que Douarnek, qui pour ramer tournait le dos à l’avant de la barque, reçut un trait dans l’épaule.

– Voilà comme les Franks accueillent les parlementaires en temps de trêve, — dit le vétéran sans discontinuer de ramer et même sans retourner la tête ; — c’est la première fois que je suis frappé par derrière. Cette flèche dans le dos sied mal à un soldat ; arrache-la-moi vite, camarade, — ajouta-t-il en s’adressant au rameur devant lequel il était placé.

Mais Douarnek, malgré ses efforts, manœuvrait sa rame avec moins de vigueur ; et quoique la plaie fût légère, son sang coulait avec abondance.

– Je te l’avais bien dit, Scanvoch, — reprit-il, — que tes branches de paix nous seraient de mauvais remparts contre la traîtrise de ces écorcheurs franks… Allons, enfants, ferme à nos rames, puisque nous ne sommes plus que trois ; car notre camarade, qui se débat le nez sur son banc, ne peut plus compter pour un rameur !