Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

– Quant à moi, — reprit un autre soldat, — j’ai souvent vu, étant de faction près de la demeure de Victorin, séparée de celle de sa mère par un jardin, des femmes voilées sortir à l’aube de son logis ; il en sortait de grandes, il en sortait de petites, il en sortait de grosses, il en sortait de maigres, à moins que le crépuscule ne me troublât la vue et que ce fût toujours la même femme.

– À cela, ta sincérité n’a rien à répondre, ami Scanvoch, — me dit Douarnek ; car, en effet, je n’avais pu contredire cette autre accusation. – Ne t’étonne donc plus de notre croyance aux paroles du secrétaire de Tétrik… Voyons, avoue-le, celui qui, dans son ivresse, prend le Rhin pour un fleuve de vin de Béziers, celui de chez qui sort à l’aube une pareille procession de femmes, ne peut-il pas, dans son ivresse, vouloir faire violence à son hôtesse ?

– Non m’écriai-je, non ! L’on peut avoir les défauts de son âge, sans être pour cela un infâme !

– Tiens, Scanvoch, tu es l’ami de notre mère à tous, de Victoria, la belle et l’auguste ; tu chéris Victoria comme son fils ; dis-lui ceci : « Les soldats, même les plus grossiers, les plus dissolus, n’aiment pas à retrouver leurs vices dans les chefs qu’ils ont choisis ; aussi, de jour en jour, l’affection de l’armée se retire de Victorin pour se reporter tout entière sur Victoria. »

– Oui, lui dis-je en réfléchissant ; — et cela seulement, n’est-ce pas, depuis que Tétrik, le gouverneur de Gascogne, parent et ami de Victoria, a fait un dernier voyage au camp ? Jusqu’alors on avait aimé le jeune général, malgré les faiblesses de son âge.

– C’est vrai ; il était si bon, si brave, si avenant pour chacun ! Il était si beau à cheval ! il avait une si fière tournure militaire ! Nous l’aimions comme notre enfant, ce jeune capitaine ! nous l’avions vu naître et fait danser tout petit sur nos genoux aux veillées du camp ; plus tard, nous fermions les yeux sur ses faiblesses, car les pères sont toujours indulgents ; mais pour des indignités, pas d’indulgence !

– Et de ces indignités, — repris-je de plus en plus frappé de