Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.

– Elle est bien nommée la mère des camps et des soldats ; il faut la voir après chaque bataille allant visiter les blessés !

– Et leur disant de ces paroles qui font regretter aux valides de n’avoir pas de blessures.

– Et puis, si belle… si belle !…

– Oh ! quand elle passe dans le camp, montée sur son cheval blanc, vêtue de sa longue robe noire, le front si fier sous son casque, et pourtant l’œil si doux, le sourire si maternel… c’est comme une vision !

– On assure que notre Victoria connaît aussi bien l’avenir que le présent.

– Il faut qu’elle ait un charme ; car qui croirait jamais, à la voir, qu’elle est mère d’un fils de vingt-deux ans ?…

– Ah ! si le fils avait tenu ce qu’il promettait !

– On l’aimerait comme on l’aimait autrefois.

– Oui, et c’est vraiment dommage, — reprit Douarnek en secouant la tête d’un air chagrin, après avoir ainsi laissé parler les autres soldats ; — oui, c’est grand dommage ! Ah ! Victorin n’est plus cet enfant des camps que nous autres vieux à moustaches grises, qui l’avions vu naître et fait danser sur nos genoux, nous regardions, il y a peu de temps encore, avec orgueil et amitié.

Ces paroles des soldats me frappèrent ; non-seulement j’avais souvent eu à défendre Victorin contre la sévère Sampso, mais je m’étais aperçu dans l’armée d’une sourde hostilité contre le fils de ma sœur de lait, lui jusqu’alors l’idole de nos soldats.

– Qu’avez-vous donc à reprocher à Victorin ? — dis-je à Douarnek et à ses compagnons. — N’est-il pas brave… entre les plus braves ? Ne l’avez-vous pas vu à la guerre ?

– Oh ! s’il s’agit de se battre… il se bat vaillamment… aussi vaillamment que toi, Scanvoch, quand tu es à ses côtés, sur ton grand cheval gris, songeant plus à défendre le fils de ta sœur de lait qu’à te défendre toi-même… Tes cicatrices le diraient si elles pouvaient