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– Le sang versé pour la patrie et la liberté, c’est notre noblesse, à nous autres Gaulois, — lui dis-je ; — voilà pourquoi nos vieux bardits sont chez nous si populaires.

– Quand on pense, — reprit le plus jeune des soldats, — qu’il y a plus de trois cents ans qu’Hêna, cette douce et belle sainte, a offert sa vie pour la délivrance du pays, et que son nom est venu jusqu’à nous !

– Quoique la voix de la jeune vierge ait mis plus de deux siècles à monter jusqu’aux oreilles d’Hésus (c’est tout simple, il est placé si haut), — reprit Douarnek, — cette voix est parvenue jusqu’à lui, puisque nous pouvons dire aujourd’hui : Victoire à nos armes ! victoire et liberté !

Nous étions arrivés vers le milieu du Rhin, à l’endroit où ses eaux sont très-rapides.

Douarnek me demanda en relevant ses rames :

– Entrerons-nous dans le fort du courant ? Ce serait une fatigue inutile, si nous n’avions qu’à remonter ou à descendre le fleuve à la distance où nous voici de la rive que nous venons de quitter.

– Il faut traverser le Rhin dans toute sa largeur, ami Douarnek.

– Le traverser !… — s’écria le vétéran en me regardant d’un air ébahi. — Traverser le Rhin !… Et pourquoi faire ?

– Pour aborder à l’autre rive.

– Y penses-tu, Scanvoch ? L’armée de ces bandits franks, si on peut honorer du nom d’armée ces hordes sauvages, n’est-elle pas campée sur l’autre bord ?…

– C’est au milieu de ces barbares que je me rends.

Pendant quelques instants, la manœuvre des rames fut suspendue ; les soldats, interdits et muets, se regardèrent les uns les autres, comme s’ils avaient peine à croire à ma résolution.

Douarnek rompit le premier le silence, et me dit avec son insouciance de soldat :

– C’est alors une espèce de sacrifice à Hésus que nous allons lui