Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Coule, coule, sang du captif !

Tombe, tombe, rosée sanglante !

que nos pères, les armes à la main, ont reconquis cette liberté dont nous jouissons.

– C’est vrai, Scanvoch… mais ce bardit est long, et tu nous as prévenus que nous devions bientôt rester muets comme les poissons du Rhin.

– Douarnek, reprit un jeune soldat, si tu nous chantais le bardit d’Hêna, la vierge de l’île de Sên… ? Il me fait toujours venir les larmes aux yeux ; car c’est ma sainte, à moi, cette belle et douce Hêna, qui vivait il y a des cents et des cents ans !

– Oui, oui, — reprirent les trois autres soldats, — chante-nous le bardit d’Hêna, Douarnek ; ce bardit prophétise la victoire de la Gaule… et la Gaule est victorieuse aujourd’hui !

Moi, entendant cela, je ne disais rien ; mais j’étais ému, heureux, et je l’avoue, fier, en songeant que le nom d’Hêna, morte depuis plus de trois cents ans, était resté populaire en Gaule comme au temps de mon aïeul Sylvest, et allait être chanté.

– Va pour le bardit d’Hêna, reprit le vétéran, j’aime aussi cette sainte et douce fille, qui offre son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule ; et toi, Scanvoch, le sais-tu, ce chant ?

– Oui… à peu près… je l’ai déjà entendu…

– Tu le sauras toujours assez pour répéter le refrain avec nous.

Et Douarnek se mit à chanter, d’une voix pleine et sonore qui, au loin, domina le bruit des grandes eaux du Rhin :




« Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte.

» Elle a donné son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule !

» Elle s’appelait Hêna ! Hêna, la vierge de l’île de Sên.




» — Bénis soient les dieux, ma douce fille, — lui dit son père Joel, le brenn de la tribu de Karnak, — bénis soient les dieux,