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féroce vint à l’esprit de ces Romains ; l’un d’eux s’approcha de la victime, lui donna un soufflet, et lui dit en éclatant de rire :

— Ô grand prophète ! devine le nom de celui qui t’a frappé[1] !

Alors un horrible jeu commença…

Ces hommes robustes et armés vinrent tour à tour, riant aux éclats, souffleter ce jeune homme garrotté, brisé par tant de tortures, lui disant chaque fois qu’ils le frappaient à la figure :

— Devineras-tu cette fois qui t’a frappé ?

Jésus (et ce furent les seules paroles que Geneviève lui entendit prononcer durant ce long martyre), Jésus dit d’une voix miséricordieuse, en levant vers le ciel sa tête toujours couverte d’un bandeau :

« — Seigneur, mon Dieu ! pardonnez-leur… Ils ne savent ce qu’ils font[2] ! »

Telle fut l’unique et tendre plainte que fit entendre la victime, et ce n’était pas même une plainte… c’était une prière qu’il adressait aux dieux, implorant leur pardon pour ses tourmenteurs…

Les Romains, loin d’être apaisés par cette divine mansuétude, redoublèrent de violences et d’outrages…

Des infâmes crachèrent au visage de Jésus…[3]

Geneviève n’aurait pu supporter plus longtemps la vue de ces monstruosités si les dieux n’y eussent mis un terme ; elle entendit dans la rue un grand tumulte, et vit arriver le docteur Baruch, le banquier Jonas et Caïphe, prince des prêtres. Deux hommes de leur suite portaient une lourde croix de bois, un peu plus haute que la grandeur d’un homme. À la vue de cet instrument de supplice, les personnes arrêtées au dehors de la porte du prétoire, et parmi lesquelles se trouvait Geneviève, crièrent d’une voix triomphante :

— Enfin, voici la croix !… voici la croix !

  1. Évangile selon saint Luc, ch. XXXIII, v. 34.
  2. Évangile selon saint Luc, ch. XXXIII, v. 32.
  3. Évangile selon saint Luc, ch. XXXIII, v. 35.