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jadis si florissantes, ravagées, incendiées par les Franks… si vous aviez vu ces bandes d’hommes, de femmes d’enfants, garrottés deux à deux, marchant parmi le bétail et les chariots remplis de butin de toute sorte, que ces barbares poussaient devant eux, lorsqu’ils ont eu conquis le pays d’Amiens, où je passais alors… le cœur, comme à moi, vous eût saigné…

— Ces pauvres esclaves, ces femmes, ces enfants, où les conduisaient-ils ?

— Hélas ! bonne mère, ils les conduisaient sur les bords du Rhin, où les Franks tiennent un grand marché de chair gauloise ; tous les barbares de la Germanie, qui n’ont pas fait irruption dans notre malheureux pays, viennent là s’approvisionner d’esclaves de notre race, hommes, femmes, enfants…

— Et ceux qui restent en Gaule ?

— Tous les hommes des campagnes, esclaves aussi, cultivent, sous le bâton des Franks, les champs paternels que le roi Clovis a autrefois partagés avec ses leudes, ses anciens compagnons de pillage et de massacre, qu’il a faits depuis ducs, marquis, comtes en notre pays… Mais il reste heureusement encore quelques gouttes de sang généreux dans les veines de la vieille Gaule ; et si le règne des Franks et des évêques doit durer, ils ne jouiront pas du moins en paix de leur conquête…

— Que veux-tu dire ?

— Avez-vous entendu parler de la Bagaudie ?

— Oui, plusieurs fois… Mon grand-père m’a dit que peu d’années après la mort de Victoria la Grande…

— L’auguste mère des camps ?

— Son nom est parvenu jusqu’à toi, brave porte-balle ?

— Quel Gaulois ne prononce avec respect le nom de cette héroïne, quoiqu’elle soit morte depuis plus de deux siècles… A-t-on oublié les noms bien plus anciens encore de Sacrovir, de Civilis, de Vindex, du chef des cent vallées ?…