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horions que de plaisir s’ils s’y frottaient, au pèn-bas de mon Karadeuk… Il est si robuste, si agile, si dextre ! et puis si beau, avec ses cheveux blonds coupés en rond, tombant sur le col de sa saie gauloise ; ses yeux bleus de mer et ses bonnes joues hâlées par l’air des champs et la brise de mer !…

Non, par les glorieux os du vieux Joel ! non, il ne pouvait être plus fier de ses trois fils : Guilhern, le laboureur ; Mikaël, l’armurier ; Albinik, le marin ; et de sa douce fille Hêna, la vierge de l’île de Sên, île aujourd’hui déserte, qu’en ce moment, à travers ma fenêtre, je vois là-bas, là-bas… en haute mer, noyée dans la brume… Non, le bon Joel ne pouvait être plus fier de sa famille que moi, le vieil Araïm, je ne suis fier de mes petits-enfants !… Mais ses fils, à lui, ont vaillamment combattu ou sont morts pour la liberté ; mais sa fille Hêna, dont le saint et doux nom a été jusqu’à aujourd’hui chanté de siècle en siècle, a offert vaillamment sa vie à Hésus pour le salut de la patrie, tandis que les enfants de mon fils mourront ici, obscurs comme leur père, dans ce coin de la Gaule ; libres du moins ils mourront, puisque les Franks barbares, deux fois venus jusqu’aux frontières de notre Bretagne, n’ont osé y pénétrer : nos épaisses forêts, nos marais sans fonds, nos rochers inaccessibles, et nos rudes hommes, soulevés en armes à la voix toujours aimée de nos druides chrétiens ou non chrétiens, ont fait reculer ces féroces pillards, maîtres pourtant de nos autres provinces depuis près de quinze ans.

Hélas ! elles se sont enfin réalisées après deux siècles, les sinistres divinations de la sœur de lait de notre aïeul Scanvoch ! Victoria la Grande ne l’a que trop justement prédit… les Franks ont depuis longtemps conquis et asservi la Gaule, moins notre Armorique bretonne, grâce aux dieux…

Voilà pourquoi le vieux Araïm pensait que, comme père et comme Breton, son obscur bonheur ne méritait pas d’être relaté dans notre chronique, et qu’il avait, hélas ! trop à écrire comme Gaulois… N’est-ce point trop, que d’écrire la défaite, la honte, l’esclavage de