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dangereux pour les puissants et pour les heureux de ce monde ; car enfin, en divinisant le vin par Bacchus, la volupté par Vénus, la richesse par Mercure, ce paganisme invitait religieusement tous les hommes à jouir de ce qui ne sera jamais que le privilège du petit nombre… Or, pour jouir de ces délices, il fallait de l’argent, et quand l’impôt vous le prenait, cet argent, des révoltes sans nombre éclataient, et le gouvernement des hommes devenait d’une difficulté extrême… Lorsqu’au contraire, je vous le répète, Victoria, un peuple se persuade que plus il est malheureux et ignorant, plus il sera heureux dans l’éternité, il devient d’une commodité extrême à gouverner.

— Il est facile, en effet, de combler les vœux d’un peuple qui n’a d’autre désir que l’ignorance et la misère…

— Eh ! certainement ! à chaque impôt, à chaque misère nouvelle, ce bienheureux peuple se dit : « Tant mieux… Allez, riches et puissants du monde, allez, jouissez… allez, écrasez-moi… vous ne me rendrez jamais à mon gré assez malheureux ici-bas… »

— Je l’avoue, Tétrik, la doctrine du jeune homme de Nazareth, ainsi transformée, peut devenir un redoutable moyen de gouvernement.

— Oui, mais les prêtres et les évêques de la foi nouvelle peuvent seuls, peu à peu par leurs prédications, habilement détourner ce dangereux courant d’idées d’égalité parmi les hommes, de haine contre les puissants, de revendication contre les riches, de communauté de biens, de tolérance pour les coupables, courant funeste, qui prend sa source dans certains passages de l’Évangile.

— Et c’est pourtant au nom de ces idées généreuses que sont morts et que meurent tant de martyrs !…

— Hélas ! oui… Jésus, notre Seigneur, est toujours pour eux l’ouvrier charpentier de Nazareth, mis à mort pour avoir défendu les pauvres, les esclaves, les opprimés, les coupables, contre les heureux du jour, promettant leurs biens à la populace, en lui disant qu’un jour les derniers seraient les premiers… Aussi ces martyrs confessent-