— As-tu dit à Victoria que cet homme l’avait menacée ?
— Non… car à peine j’étais de retour auprès d’elle, qu’elle m’a ordonné d’un ton brusque… elle, toujours si douce pour moi, de la laisser seule… Je me suis retirée dans une chambre voisine… et jusqu’à l’aube, où ma maîtresse s’est jetée toute vêtue sur son lit, je l’ai entendue marcher avec agitation… J’ai cependant longtemps hésité avant de me décider à ces révélations, Scanvoch, mais lorsque tout à l’heure ma maîtresse m’a appelée pour m’ordonner de vous aller quérir, je n’ai pas regretté ce que j’ai fait… Ah ! si vous l’aviez vue ! comme elle était pâle et sombre !…
Je me rendis chez Victoria très-inquiet… Je fus douloureusement frappé de l’expression de ses traits… Mora ne m’avait pas trompé.
Avant de continuer ce récit, et pour t’aider à le comprendre, mon enfant, il me faut te donner quelques détails sur une disposition particulière de la chambre de Victoria… Au fond de cette vaste pièce se trouvait une sorte de cellule fermée par d’épais rideaux d’étoffe ; dans cette cellule, où ma sœur de lait se retirait souvent pour regretter ceux qu’elle avait tant aimés, se trouvaient, au-dessus des symboles sacrés de notre foi druidique, les casques et les épées de son père, de son époux et de Victorin ; là aussi se trouvait, chère et précieuse relique… le berceau du petit-fils de cette femme tant éprouvée par le malheur…
Victoria vint à moi et me dit d’une voix altérée :
— Frère… pour la première fois de ma vie j’ai eu un secret pour toi… frère… pour la première fois de ma vie je vais user de ruse et de dissimulation…
Puis, me prenant la main, la sienne était brûlante, fiévreuse, elle me conduisit vers la cellule, écarta les rideaux épais qui la fermaient, et ajouta :
— Les moments sont précieux ; entre dans ce réduit, restes-y muet, immobile… et ne perds pas un mot de ce que tu vas entendre tout à l’heure… Je te cache là d’avance pour éloigner tout soupçon…