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centraient sur ces deux êtres si chers à mon cœur ; ne me laisse pas seule… Toi, ton fils et Sampso, venez habiter avec moi ; vous m’aiderez à porter le poids de mes chagrins…

J’hésitai d’abord à accepter l’offre de Victoria… Par une fatalité terrible, j’avais tué son fils ; elle savait, il est vrai, que malgré la grandeur de l’outrage de Victorin, j’aurais épargné sa vie, si je l’avais reconnu ; elle savait, elle voyait les regrets que me causait ce meurtre involontaire et cependant légitime… mais enfin, affreux souvenir pour elle ! j’avais tué son fils… et je craignais que, malgré son vœu de m’avoir près d’elle, que, malgré la force et l’équité de son âme, ma présence désirée dans le premier moment de sa douleur ne lui devînt bientôt cruelle et à charge ; mais je dus céder aux instances de Victoria ; et plus tard Sampso me disait souvent :

— Hélas ! Scanvoch, en vous entendant sans cesse parler si tendrement de Victorin avec sa mère, qui à son tour vous parle d’Ellèn, ma pauvre sœur, en termes si touchants, je comprends et j’admire, ainsi que tous ceux qui vous connaissent, ce qui d’abord m’avait semblé impossible, votre rapprochement à vous, les deux survivants de ces victimes de la fatalité…

Lorsque Victoria surmontait sa douleur pour s’entretenir avec moi des intérêts du pays, elle s’applaudissait d’avoir pu décider le capitaine Marion à accepter le poste éminent dont il se montrait de plus en plus digne ; elle écrivit plusieurs fois en ce sens à Tétrik. Il avait quitté le gouvernement de la province de Gascogne pour se retirer avec son fils, alors âgé de vingt ans environ, dans une maison qu’il possédait près de Bordeaux, cherchant, disait-il, dans la poésie une sorte de distraction aux chagrins que lui causait la mort de Victorin et de son fils. Il avait composé des vers sur ces cruels événements ; rien de plus touchant, en effet, qu’une ode écrite par Tétrik à ce sujet sous ce titre : les Deux Victorin, et envoyée par lui à Victoria. Les lettres qu’il lui adressa pendant les deux premiers mois du gouvernement de Marion furent aussi empreintes d’une profonde tristesse ;