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— Maudit soit le nom de Victorin !

— Oui, maudit… maudit… — répétèrent une foule de voix menaçantes ; — maudit soit à jamais son nom !

Victoria, pâle, calme et imposante, s’était un instant arrêtée devant Douarnek, qui fléchissait le genou en lui parlant… Mais lorsque les cris de : Mort à Victorin ! maudit soit son nom ! firent de nouveau explosion, ma sœur de lait, dont le mâle et beau visage trahissait une angoisse mortelle, étendit les bras en présentant par un geste touchant son petit-fils aux soldats, comme si l’enfant eût demandé grâce et pitié pour son père (B).

Ce fut alors qu’éclatèrent avec plus de violence ces cris :

— Mort à Victorin !… maudit soit son nom !…

À ce moment j’ai vu mon compagnon de route, reconnaissable à sa casaque, dont le capuchon était toujours rabaissé sur son visage, s’avancer d’un air menaçant vers Victoria en criant :

— Oui, maudit soit le nom de Victorin… périsse à jamais sa race !…

Et cet homme arracha violemment l’enfant des bras de Victoria, le prit par les deux pieds, puis il le lança avec furie sur les cailloux du chemin, où il lui brisa la tête (C). Cet acte de férocité fut si brusque, si rapide, que lorsque Douarnek et plusieurs soldats indignés se jetèrent sur l’homme au capuchon, pour sauver l’enfant, cette innocente créature gisait sur le sol, la tête fracassée… J’entendis un cri déchirant poussé par Victoria, mais je ne pus l’apercevoir pendant quelques instants, les soldats l’ayant entourée, la croyant menacée de quelque danger. J’appris ensuite qu’à la faveur du tumulte et de la nuit, l’auteur de ce meurtre horrible avait échappé… Les rangs des soldats s’étant ouverts de nouveau au milieu d’un morne silence, j’ai revu, à quelques pas de ma maison, Victoria, le visage inondé de larmes, tenant entre ses bras le petit corps inanimé du fils de Victorin. Alors du seuil de ma porte, je dis à la foule muette et consternée :