respect que cette femme auguste inspirait à l’armée, que bientôt le silence succéda aux furieuses clameurs des soldats ; ils comprirent la terrible position de cette mère qui, attirée par des cris de justice et de vengeance proférés contre son fils accusé d’un crime horrible, s’approchait dans la majesté de sa douleur maternelle.
Mon cœur, à moi, se brisa… Victoria, ma sœur de lait… cette femme, pour qui ma vie n’avait été qu’un long jour de dévouement, Victoria allait trouver dans ma maison le cadavre de son fils tué par moi… qui l’avais vu naître… qui l’avais aimé comme mon enfant !… Je voulus fuir… je n’en eus pas la force… Je restai adossé à la muraille… regardant devant moi, incapable de faire un mouvement.
Soudain, la foule des soldats s’écarte, forme une sorte de haie de chaque côté d’un large passage, et je vois s’avancer lentement, à la clarté de la lune et des torches, Victoria, vêtue de sa longue robe noire, tenant son petit-fils entre ses bras (A)… Elle espérait sans doute apaiser l’exaspération des soldats en offrant à leurs yeux cette innocente créature. Tétrik, le capitaine Marion et plusieurs officiers, qui avaient prévenu Victoria du tumulte et de ses causes, la suivaient. Ils parvinrent à calmer l’effervescence des troupes : le silence devint solennel… La mère des camps n’était plus qu’à quelques pas de ma maison, lorsque Douarnek s’approcha d’elle, et lui dit en fléchissant le genou :
— Mère, ton fils a commis un grand crime… nous te plaignons… mais tu nous feras justice… nous voulons justice…
— Oui, oui, justice ! — s’écrièrent les soldats dont l’irritation, muette depuis quelques instants, éclata de nouveau avec une violence croissante en mille cris divers : — Justice ! ou nous nous la ferons nous-mêmes…
— Mort à l’infâme !
— Mort à celui qui a déshonoré la femme de son ami !
— Victorin est notre chef… son crime sera-t-il impuni ?
— Si l’on nous refuse justice, nous nous la ferons nous-mêmes.