Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tants après j’arrivais devant ma maison : je sautai à bas de mon cheval, qui hennit en reconnaissant notre logis. Je courus à la porte, j’y frappai à grands coups… Personne ne vint m’ouvrir, mais j’entendis des cris étouffés ; je heurtai de nouveau, et tout aussi vainement, avec le pommeau de mon épée ; les cris redoublèrent ; il me sembla reconnaître la voix de Sampso… J’essayai de briser la porte… impossible… Soudain la fenêtre de la chambre de ma femme s’ouvre, j’y cours l’épée à la main. Au moment où j’arrive devant cette croisée, on poussait du dedans les volets qui la fermaient. Je m’élance à travers ce passage, je me trouve ainsi face à face avec un homme… L’obscurité ne me permit pas de reconnaître ses traits ; il fuyait de la chambre d’Ellèn, dont les cris déchirants parvinrent jusqu’à moi. Saisir cet homme à la gorge au moment où il mettait le pied sur l’appui de la fenêtre pour s’échapper, le repousser dans la chambre pleine de ténèbres, où je me précipite avec lui, le frapper plusieurs fois de mon épée avec fureur, en criant : — Ellèn ! me voici… — tout cela se passa avec la rapidité de la pensée. Je retirais mon épée du corps étendu à mes pieds pour l’y replonger encore, car j’étais fou de rage, lorsque deux bras m’étreignent avec une force convulsive… Je me crois attaqué par un autre adversaire ; je traverse de mon épée ce corps, qui dans l’obscurité se suspendait à mon cou, et aussitôt j’entends ces paroles prononcées d’une voix expirante :

— Scanvoch… tu m’as tuée… merci, mon bien-aimé… il m’est doux de mourir de ta main… je n’aurais pu vivre avec ma honte…

C’était la voix d’Ellèn !…

Ma femme était accourue dans sa muette terreur pour se mettre sous ma protection : ses bras, qui m’avaient d’abord enserré, se détachèrent brusquement de moi… je l’entendis tomber sur le plancher… Je restai foudroyé… mon épée s’échappa de mes mains, et pendant quelques instants un silence de mort se fit dans cette chambre complètement obscure, sauf une traînée de pâle lumière, jetée par la lune