— Si par un hasard inconcevable, — me disais-je, — l’avertissement auquel j’obéis est aussi mal fondé que les pressentiments d’Ellèn, avec lesquels il concorde pourtant d’une manière étrange, si mon alarme a été vaine, je prendrai au camp un cheval frais pour recommencer mon voyage, qui n’aura d’ailleurs subi qu’un retard de trois heures.
J’excitai donc des talons et de la voix la rapide allure de mon vigoureux Tom-Bras, et me dirigeai vers Mayence avec une folle vitesse. À mesure que je me rapprochais des lieux où j’avais laissé ma femme et mon enfant, les plus noires pensées venaient m’assaillir ; quel pouvait être ce crime qui se commettait dans ma maison ? était-ce à un ami ? était-ce à un ennemi que je devais cette révélation ? Parfois il me semblait que la voix du cavalier ne m’était pas inconnue, sans qu’il me fût possible de me souvenir où je l’avais déjà entendue ; mais ce qui redoublait surtout mon anxiété, c’était ce mystérieux accord entre le malheur dont on venait de me menacer et les pressentiments d’Ellèn. La lune, s’étant levée, facilitait la précipitation de ma course en éclairant la route ; les arbres, les champs, les maisons, disparaissaient derrière moi avec une rapidité vertigineuse. Je mis moins d’une heure à parcourir cette même route, parcourue naguère par moi en deux heures ; j’atteignis enfin les portes de Mayence… Je sentais Tom-Bras faiblir entre mes jambes, non par faute d’ardeur et de courage, mais parce que ses forces étaient à bout. Avisant un soldat en faction, je lui dis :
— As-tu vu un cavalier rentrer cette nuit dans la ville ?
— Il y a un quart d’heure à peine, — me répondit le soldat, — un cavalier, vêtu d’une casaque à capuchon, a passé au galop devant cette porte ; il se dirigeait vers le camp.
— C’est lui, — ai-je pensé en reprenant ma course, — au risque de voir Tom-Bras expirer sous moi. — Plus de doute, mon compagnon de voyage m’aura devancé par le chemin de la forêt ; mais pourquoi se rend-il au camp, au lieu d’entrer dans la ville ? — Quelques ins-